[Roman] - Destins entremêlés

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Angie
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[Roman] - Destins entremêlés

Unread post by Angie »

Après accord avec Mega, je vais poster un topic avec un projet qui me tient à coeur depuis maintenant 4 ans : un roman. L'histoire bien que beaucoup avancée dans ma tête, j'ai assez peu de temps pour écrire, d'où l'irégularité des publications de chapitres... Bon, avant tout, un petit "résumé" si on peut dire pour vous donner une idée de ce que c'est :

« Nous sommes faits de la même matière que les rêves. »


Cette phrase de William Shakespeare prendra tout son sens pour Tatsuki, une jeune femme de dix-neuf ans ignorant tout de son passé.

Résidente en internat, sa vie sera brutalement chamboulée par l'apparition d'une mystérieuse voix résonnant dans sa tête...

Un nouveau monde s'offrant à ses pieds, la jeune femme devra prendre en main sa destiné et retrouver les clés lui permettant de savoir qui elle est.


... les chapitres sont corrigés et à jour (même s'il peut rester quelques fautes, un MP est le bienvenu ;)), le roman est toujours en cours de rédaction. bonne lecture, et n'hésitez pas à commenter =)

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Prologue
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« Il n'y a qu'un remède au désespoir : c'est la prière - la prière qui peut tout, qui peut même créer Dieu... »
Emil Michel Cioran


Le temps qui passe est semblable à un torrent qui s’écoule, encore et toujours, inlassablement. Une vie humaine peut être comparée à une goutte d’eau prenant vie dans le ciel, et mourant en rejoignant le cours du fleuve. Un rien peut venir la bouleverser contre son gré, si faible et insouciante puisse-t-elle être. C’est ce qu’on appelle plus couramment le destin. Mais certains s’adonnent à croire que cette puissance, qui dicte le moindre de nos agissements, peut être changée par la seule force d’une chose, enfouie au plus profond de notre être. Et ces fous, allant contre les principes mêmes de leurs patries, ne sont plus de ce monde, payant de leurs vies leurs péchés commis, et emportant dans la mort, le secret de la liberté…

Le reste des personnes de cette lointaine contrée ne possédait rien, ni biens matériels, ni confort spirituel ; ils n’avaient pas ou que très peu d’amis ; ils n’avaient rien vécu, si ce n’est autre que la misère et la dépendance dans laquelle ils se trouvaient à présent. Ils ne pouvaient penser par eux-mêmes, sous peine d’être punis, ils n’étaient même pas certains que leurs âmes leur appartenaient. Tout ce qu’ils savaient, c’est que leur corps et leur souffrance étaient bien à eux, et qu’ils devaient continuer à vivre sous le joug de cette soumission… Soumission imposée d’une part par la planète elle-même, tant les conditions de vie leur étaient néfastes, et d’autre part à cause d’une espèce appauvrissant considérablement les ressources du monde. Celle-ci, au cours du temps, prit de plus en plus possession de la terre, des habitants, pour finalement les réduire en pur et simple esclavage. Tel était leur destin depuis près de mille ans sur cette terre scellée à jamais, terre de soumission et de pauvreté, terre de violence et de conflits, terre de désespoir s’emparant de leurs vies.

Omowaku était un monde où, autrefois, régnait une paix sans nul pareil. De nombreux peuples vivaient en harmonie les uns avec les autres. Que ce soit humains, elfes, nains, fées nymphes, gobelins ou dragons, chacun avait sa place, ses droits, sa liberté. L’équilibre sur le monde reposait principalement sur le maintien des éléments, à savoir l’eau, le feu, la glace, le bois, le vent, la terre, le métal et le tonnerre. Chacun d’entre eux se voyait représenté par ce que les anciens appelaient Chimères, à l’effigie d’immenses animaux, disposant de grands pouvoirs. De ce fait, ces esprits étaient enfermés dans ce que l’on appelait « Pierre Chimérique », des sortes de gemmes précieusement conservées au sein de familles gardiennes des éléments. Chacune de ces familles était prédisposée à veiller sur l’une des Chimères par l’intermédiaire d’un « Gardien Invocateur ». Il n’y en avait qu’un seul par génération au sein d’une de ces familles. Son rôle consistait à se servir de sa Chimère en cas de nécessité, par exemple, pour régler des conflits mineurs, et particulièrement à en contrôler la puissance qui, si elle devenait instable, pourrait faire basculer l’équilibre. Il y avait donc huit esprits sur Omowaku… Enfin, huit plus quatre autres, nommés Oniki, se traduisant littéralement par « esprits démons », qui permettaient au monde de ne pas sombrer dans le néant. Ces autres étaient la Lumière, les Ténèbres, le Temps et l’Espace. Leur puissance était de loin supérieure à celle des huit autres ; ils n’avaient pas besoin de gardien pour veiller sur eux, ils étaient autonomes. Personne ne savait où ils se cachaient, et ce n’était pas plus mal ainsi, car si jamais ils tombaient entre de mauvaises mains, les conséquences pourraient être désastreuses…

Malheureusement, comme dans toute contrée, un complot prenait forme dans l’ombre, allant à l’encontre de cette harmonie paraissant inébranlable. Une communauté restreinte, avide de pouvoir, se livrait à des expériences allant à l’encontre de toute éthique. Leur but était de créer une race supérieure, une race parfaite, qui pourrait diriger le monde de son plein gré, gardant pouvoir, richesse et charisme. Pour cela, ils avaient recourt à des manipulations génétiques, mêlant magie, alchimie et tout autre moyen pouvant satisfaire leur bon vouloir. C’est de là que prit naissance une nouvelle espèce, mêlant à la fois sang de dragon pour leur force, sang d’elfe pour leur longévité, sang de gobelin pour leur barbarie, et sang d’homme pour leur cupidité. Les naissants de cette nouvelle race se firent appeler Owoks, enfants du monde destinés à le changer, à le rendre meilleur, soumis à leur volonté. Ces êtres ne furent pas acceptés par la population, du fait de leurs différences, de leur agressivité et de leurs intentions. Ils se rebellèrent même contre leurs créateurs et commencèrent à semer le trouble un peu partout. A partir de ce jour, Omowaku sombra dans la guerre, détruisant l’harmonie si précieuse, réduisant à néant bien des choses. Trois clans s’étaient formés : les Fatalistes, ralliant la cause de ces êtres malsains et professant que cela était dû au destin et que ce ne pouvait être changé, les Rebelles, luttant pour restaurer la paix d’antan, soutenus par les familles de gardiens, et les Manants, ne pouvant choisir aucun camp et restant de simples marionnettes.

On dit toujours qu’une situation comme celle-là ne pourrait pas être pire, et pourtant, ce fut le cas. Quatre des familles gardiennes furent anéanties par les Fatalistes, et par conséquent, quatre des Chimères passèrent dans le côté sombre… Qui plus est, une rumeur avait pris forme, disant que les quatre Owoks à la tête de la guerre s’étaient emparés des Onikis et de leurs pouvoirs, et cherchaient par la même occasion à récupérer le reste des chimères… Personne ne savait dans quel but ils cherchaient à réunir les douze pouvoirs, mais une chose était certaine : l’issue de la guerre était capitale, car du camp vainqueur dépendait le devenir du monde…
Last edited by Angie on Thu Jan 13, 2011 5:12 pm, edited 1 time in total.
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Re: [Roman] - Destins entremêlés

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Pluie


« Notre grand tourment dans l'existence vient de ce que nous sommes éternellement seuls, et tous nos efforts, tous nos actes ne tendent qu'à fuir cette solitude. »
Guy de Maupassant


C’était une journée comme il en est des milliers dans la vie de tout être quel qu’il soit. Une journée aussi agaçante qu’épuisante. Le bruit de la craie tintait sur le grand tableau noir poussiéreux, et les paroles du professeur de mathématiques semblaient avoir plongé la classe entière dans une lassitude incomparable. Certains recopiaient les formules inscrites avec rigueur, quelques-uns rattrapaient des heures de sommeil perdues, et d’autres regardaient par la fenêtre, rongés par l’ennui. D’épais nuages noirs s’étaient accumulés dans le ciel, chargés de pluie, signalant la venue imminente d’un orage et laissant avec eux une lourde atmosphère. Quoi qu’il en soit, chaque lycéen, même s’il s’affairait à une tâche bien précise, n’attendait qu’une seule chose : le son du carillon indiquant d’une part la fin du cours et d’autre part la récréation.
Le calvaire de tous allait prendre fin dans les cinq minutes à venir. Cinq minutes, c’est un temps relativement court d’ordinaire, mais également très long lorsque l’on est rongé par l’ennui. Le bruit de la craie s’écrasant contre le tableau s’arrêta. Le professeur se tourna vers ses élèves et, après un rapide coup d’œil à sa montre, leur dicta les quelques exercices qu’ils allaient devoir faire pour le prochain cours. Chacun râla à sa guise, tout en sortant son agenda, puis après avoir retranscrit les dires de l’enseignant sur papier, rangea ses affaires. La sonnerie stridente retentit. Les lycéens sortirent tous dans un élan de vitesse de la salle de cours, pressés de goûter aux joies des dix minutes de pause qui leur étaient accordées. Tous avaient quitté la pièce. Tous, sauf un. Une seule personne était encore assise à son bureau. Le professeur la remarqua et s’approcha.

- Et bien alors, tu ne sors pas Tatsuki ? Demanda-t-il. Je dois fermer la classe, tu ne peux pas rester là.

L’élève était une jeune fille, prénommée Tatsuki. Bien que son prénom fût d’origine japonaise, elle n’avait pas d’origines asiatiques. Néanmoins, elle se démarquait tout de même des autres, ne serait-ce que par la couleur mauve de ses cheveux, la couleur de ses yeux améthyste, où ses deux ans de plus que le reste de la classe. L’enseignant, arrivé à sa hauteur, réitéra sa question.

- Si monsieur, je sors tout de suite, répondit-elle, le regard vide et rangeant ses affaires mollement.
- Dépêche-toi un peu, à ce train là tu ne vas pas pouvoir profiter de la récréation !
- A vrai dire ça m’est égal si je n’en profite pas. Mais sans doute avez-vous envie de boire un café avant de supporter pendant deux heures la classe de troisième.
- En effet, je t’accorde le fait que cela me serait assez utile.

La jeune fille enfila sa veste noire, attrapa son sac et sortit de la pièce tout en saluant son professeur. Elle regarda l’heure sur l’écran de son téléphone portable : 9h53. Il lui restait donc sept minutes de supplice avant de retourner en cours. Un brouhaha émanait de la cour de récréation. Les plus jeunes criaient tout en se courant après, les plus vieux discutaient des derniers potins tout en fumant une cigarette. Tatsuki s’assit sur une murette près du portail, seule. Personne ne venait vers elle, et elle n’allait vers personne. A quoi bon se tourner vers des gens qui vous ignorent, où dans le pire des cas, qui sont hypocrites envers vous ? Elle avait déjà suffisamment de problèmes pour s’en attirer davantage. Et puis, elle avait l’habitude de n’avoir aucune compagnie.
Pendant ce court laps de temps, elle resta pensive, plongée dans quelques bribes de souvenirs. Où du moins, c’est ce qu’elle laissait transparaître. Finalement, elle s’assit rapidement au sol, adossée contre la murette, la tête entre ses mains crispées et le dos voûté. Un individu lambda aurait pu penser qu’elle avait une migraine ou une sorte de malaise, et se serait donc précipité vers elle pour l’assister. Mais là, il n’en était rien. Aucun élève n’y prêta attention. Que de cruauté de leur part, que d’indifférence. Rien ne semblait pouvoir les sortir de leurs occupations, même pas un camarade à terre. La jeune fille serrait les dents, le visage tendu, exprimant une douleur. Et elle resta ainsi pendant les quelques minutes de récréation. Quand bien même la sonnerie marquant la fin de la pause retentit, son malaise n’eut guère plus de succès puisque, en effet, les autres passaient à côté d’elle, ne la voyant même pas. Elle se prit plusieurs coups de sac, mais aucune excuse ne les accompagnait. Finalement, lorsqu’il ne resta plus qu’elle dans la cour, un jeune homme l’ayant vue s’approcha, surpris.

- Et bien alors, qu’est-ce que tu fais encore là ? Tu as cours, dépêche-toi un peu !

C’était un nouveau surveillant, muté dans la région et arrivé la veille. Il ne connaissait pas encore les élèves, mais les aider semblait pour lui le meilleur moyen d’y remédier. Voyant qu’il n’obtenait aucune réponse, il s’accroupit à sa hauteur, fronçant les sourcils. Tatsuki n’avait toujours pas bougé.

- Eh, ça ne va pas ? Tu veux que je t’accompagne jusqu’à l’infirmerie ?

Alors qu’il allait pour la relever, attrapant son bras, elle le repoussa violemment, le visage toujours crispé.

- Ne me touchez pas… Lui dit-elle, le regard mauvais.
- En voilà des manières de parler ainsi à un surveillant ! Ce n’est pas parce que je suis nouveau ici que tu dois me manquer de respect ! Si tu vas mieux, relève-toi et dépêche-toi d’aller en cours, tu es déjà en retard, répondit-il, offusqué.
- Je m’en moque d’être en retard. Deux heures d’histoire géographie, c’est à mourir d’ennui.
- Oui et bien, moi je ne m’en moque pas, je ne tiens pas à perdre ma place à cause d’une fille comme toi !

Il l’attrapa par le bras et la tira de force. Il lui demanda en quelle salle se passait son cours, et après quelques minutes d’acharnement, elle répondit enfin. Devant la pièce, le surveillant frappa à la porte, un « entrez » suivant peu après. Quel ne fut pas l’étonnement de la classe en voyant la jeune fille, tirée de force ! L’enseignante d’histoire géographie s’excusa auprès du surveillant, gênée de l’attitude de son élève. L’homme s’en alla, les lycéens ricanaient entre eux.

- Non mais toi alors, en voilà une attitude ! Tu me fais honte ! En vingt ans de carrière, je n’ai jamais vu ça !
- Madame, vous avez un cours à poursuivre, je crois. Ne vous occupez donc pas de moi, je n’en vaux pas la peine…
- Tu viendras me voir à la fin de l’heure ! Je ne tolère pas que mes élèves me manquent ainsi de respect.
- Soit.

Elle alla s’asseoir au fond de la classe, seule à un bureau donnant vue sur l’extérieur. L’histoire géographie était vraiment la matière qu’elle détestait le plus. Apprendre par cœur des dates auxquelles personne ne portait d’intérêt l’agaçait plus qu’autre chose. Elle s’affala sur son bureau, la tête posée sur ses bras croisés, écoutant partiellement l’enseignante. La jeune fille repensa à l’incident qui s’était passé pendant les dix minutes de pause. Ce genre de malaises devenait de plus en plus fréquent. Mais ce n’est pas seulement cette sensation de mal-être qui la préoccupait. Il y avait autre chose. Quelque chose dont elle ne pouvait parler à personne, sous peine d’être encore plus haïe par ses camarades. Elle décida de ne plus y penser pour le moment et s’endormit sans s’en rendre compte.
Les deux heures semblaient encore plus interminables que celles de mathématiques les ayant précédées. Quand bien même la jeune fille ne dérangeait personne avec son sommeil réparateur - si l’on pouvait dire les choses ainsi - l’enseignante ne semblait vraiment pas apprécier cette attitude et choisit d’y remédier. S’impatientant de ses rappels à l’ordre qui ne servaient à rien, elle saisit une craie du grand tableau noir et la lui lança dessus. Le morceau de calcaire atterrit en plein sur la tête de la jeune fille qui se réveilla d’un coup.

- Eh bien, ce n’est pas trop tôt !! S’exclama le professeur.
- Excusez-moi, ronchonna Tatsuki, encore plus ou moins endormie.

Comme elle ne pouvait plus dormir, et que le cours ne l’intéressait toujours pas, elle sortit une feuille de sa pochette et un crayon à papier.

- Quelle casse-pied alors ! Elle m’a coupée dans un rêve des plus intéressants, se dit-elle. C’est curieux, depuis peu, je fais toujours le même, je vois toujours ces choses, ces paysages, ces silhouettes… C’est à se demander si c’est réel ou non. Sauf que cette fois-ci, c’était moins flou que d’habitude. J’ai cru distinguer une créature à l’apparence de dragon, même qu’il m’a dit son nom : Magnus… Bon sang, je nage en plein délire. Comme si cela pouvait exister ! Du nerf ma vieille, on est au 21ème siècle, tu sais pertinemment que les dragons n’existent pas !

Elle esquissa un sourire.

- Et pourquoi pas après tout…

Faisant mine de prendre le cours pour que le professeur la laisse tranquille, elle se hasarda à dessiner ce qu’elle avait vu dans ses rêves. Le tracé n’était pas quelque chose d’extrêmement précis, mais elle laissait aller sa main, sans réfléchir à ce qu’elle faisait. C’était comme si le crayon s’était chargé de son rêve et dessinait de sa propre volonté. Et effectivement, lorsqu’elle jeta un rapide coup d’œil sur la feuille, c’était bien un dragon qui y figurait. L’ébauche était certes grossière, mais elle ressemblait trait pour trait à ce qu’elle avait vu. Elle passa ainsi l’ensemble du cours à crayonner sur cette feuille de papier. Au bout d’un moment, un paysage avait pris forme.

- Etrange, s’étonna-t-elle.
- Qu’est-ce qui est étrange ? Questionna son enseignante, exaspérée.
- Que vous ne puissiez pas faire un cours sans vous préoccuper de moi, répondit la jeune fille.

Alors que la femme allait répliquer sèchement, la sonnerie retentit. La classe, affamée, sortit d’un pas vif, ne prenant même pas note des quelques devoirs écrits au tableau. La jeune fille remballait lentement ses affaires, comme à son habitude, et se dirigea mollement vers le bureau de l'enseignante. Cette dernière alla fermer la porte, l’invita à s’asseoir et en fit de même.

- Décidément, je ne te comprendrai jamais. Tu as de très bons résultats mais quel foutu caractère tu as ! Que tu n’aimes pas ma matière, c’est une chose que je conçois, mais de là à ce que tu déranges tes camarades, ça je ne peux pas le tolérer.
- Madame, dites-moi en quoi dormir les empêche de travailler.
- Si encore tu dormais en silence, je n’en aurais que faire, mais là tu marmonnes des choses incompréhensibles. Et d’après ce que j’ai entendu de la part de tes autres professeurs, cela t’arrive de plus en plus souvent et dans quasiment toutes les matières !
- Je… Commença Tatsuki, hésitant. Disons simplement que je dors mal depuis quelque temps.
- Et bien dans ce cas, va à l’infirmerie, consulte ton médecin traitant mais fais quelque chose, cela ne peut plus durer. Au cas où tu l’aurais oublié, toi et tes camarades, vous avez le baccalauréat à la fin de l’année !

La jeune fille aux cheveux mauves ne répondit pas, préférant rester dans le silence. La professeur d’histoire géographie soupira et porta une main à son visage, signalant qu’elle était agacée.

- Si tu as des problèmes avec certains de tes collègues, tu peux nous en parler, tu sais.
- Je n’en ai aucune envie voyez-vous.
- Je ne te comprends décidément pas.
- La seule fois où j’ai décidé d’en parler à quelqu’un, vous savez ce que ça m’a valu ? L’ignorance de tout le monde. Personne ne peut me comprendre, personne ne…
- Qu’est-ce qu’il t’arrive ?!

Tatsuki reprenait une de ses migraines habituelles, sauf que cette fois-ci elle semblait plus forte que les précédentes. Son visage était devenu livide et elle s’était écroulée à genoux au sol, le souffle haletant, des gouttes de sueurs perlant sur son front. L’enseignante paniquait et s’agitait de droite à gauche ne sachant pas vraiment quoi faire. Alors qu’elle voulut assister son élève en s’accroupissant à sa hauteur, cette dernière la repoussa violemment et, saisissant fébrilement ses affaires sur le bureau, se releva et s’enfuit de la salle de cours en courant comme elle le pouvait, les yeux fermés. La femme, au sol et vexée, perdit son sang-froid et cria dans la classe à présent vide.

- Je déteste cette élève !!!

Tatsuki ne savait pas où ses pas la menaient mais ça serait toujours mieux que dans ce lycée. Lorsqu’elle s’arrêta dans sa course folle et qu’elle ouvrit les yeux, elle remarqua qu’elle avait quitté l’établissement et qu’elle se trouvait face à une bâtisse qu’elle connaissait bien : la boulangerie du quartier qui faisait également office de sandwicherie. La gérante était une vieille femme, que tout le monde appelait Gigi, dont on disait qu’elle n’avait plus toute sa tête mais qui était pourvue d’une très grande bonté.

- Tu parles d’une coïncidence hein… Grommela la jeune femme. Ça tombe bien, je n’avais pas envie de manger au self aujourd’hui.

Elle entra dans la boutique. La sonnette tinta lorsqu’elle franchit la porte et une vieille dame, de petite taille, le dos voûté et avec une petite paire de lunette apparut.

- J’arrive, j’arrive. Oh ! C’est toi Tatsuki ! Ca faisait un moment que je ne t’avais pas vue.
- Bonjour Gigi.
- Alors, qu’est-ce que je te sers aujourd’hui ?
- Oh vous savez, je n’ai pas vraiment faim.
- Taratata ! S’exclama la vieille femme. Lorsque l’on est pâle comme toi, il faut manger. Sinon, notre état empire.
- Bon, d’accord, mais je n’ai pas beaucoup d’argent.
- Ne t’inquiète donc pas pour ça, c’est pour moi, répondit-elle en souriant.
- Mais je…
- Il n’y a pas de mais qui tienne. J’ai suffisamment de pigeons sans cervelle qui viennent se goinfrer tous les jours sans daigner dire bonjour ou même au revoir, pour offrir un repas à l’une de mes clientes les plus sympathiques.
- C’est gentil… Répondit la jeune fille, gênée.
- Bon, tu prends la même chose que d’habitude je suppose ? Continua Gigi, enjouée.
- Oui, avec plaisir.

Tatsuki alla s’asseoir sur une table au fond de la boutique, face au mur. La vieille femme lui apporta quelques minutes après une fougasse au chorizo encore fumante sur une petite planche en bois, des couverts l’accompagnant avec un grand verre de jus d’orange. Elle retourna en caisse, ayant entendu la sonnette de la porte : des clients venaient d’entrer, ou plutôt des pigeons comme elle s’amusait à dire. La jeune fille ne prit même pas la peine de couper le pain fumant avec ses couverts. Elle l’attrapa rapidement et y croqua à pleines dents. L’odeur qui s’en dégageait était alléchante, et même si elle refusait de l’admettre, elle commençait à avoir faim. La vieille femme la rejoignit peu après et toutes deux commencèrent à discuter.

- Merci beaucoup Gigi. Il est vrai que la faim commençait à me ronger. Ce qu’ils nous servent dans cet établissement est pour le moins… Immangeable.
- Je te crois volontiers. D’autant plus qu’étant interne, tu y as droit trois fois par jour. C’est dire, je me demande comment tu fais pour tenir une semaine entière parfois. Tu dois être contente de rentrer dans ta famille d’accueil le week-end, non ?

Il y eut un blanc. La jeune femme ne répondit pas tout de suite. Son regard avait changé : il était devenu plutôt mélancolique.

- Détrompez-vous, si je pouvais ne jamais y retourner, je ne m’en porterais pas plus mal… Reprit Tatsuki d’une voix monotone.
- Comment ça ? Ah oui, enchaîna-t-elle vivement. Tu ne tiens pas à en parler. Excuse-moi cela m’était sorti de l’esprit.
- Ne le prenez pas mal, cela n’a rien contre vous. C’est juste que… Juste que j’aimerais m’enfuir de tout ça et partir loin. Oh oui, tellement loin… finit-elle d’une voix presque inaudible.

Elle but son verre de jus de fruit d’une seule traite puis rassembla ses affaires.

- Je vais y aller, je ne voudrais quand même pas abuser. Vous allez sans doute avoir d’autres clients dans peu de temps.
- Mais non voyons, tu peux encore rester un peu. Tu reprends les cours à quelle heure ? 14h non ? Profites-en pour flâner un peu au calme. A mon avis je n’aurai pas grand monde aujourd’hui…

A peine la vieille femme eut-elle fini sa phrase que le tintement de la porte se fit une nouvelle fois entendre. Plusieurs lycéens et d’autres personnes adultes venaient d’entrer.

- Que disiez-vous à l’instant ? Dit Tatsuki, d’un ton amusé.
- Excuse-moi, je vais servir cette bande d’estomac sur pattes et je reviens.

Elle repartit en caisse non pas sans râler. La jeune fille aux cheveux mauves ne put s’empêcher de laisser s’échapper un rire. Elle en profita pour s’en aller discrètement : Gigi était quelqu’un de très gentil mais lorsqu’elle commençait à bavarder, cela pouvait durer plusieurs heures ! Passant le pas de porte, Tatsuki la salua.

- A une prochaine fois !
- Eh ! Tatsuki, attends !

Trop tard. La vieille dame s’énerva sur le client qu’elle servait – le dernier de la file d’attente - qui ne savait que choisir, l’accusant de l’avoir privée de l’un de ses moments de repos. Lorsque le calme fut revenu, elle attrapa un torchon et un plateau pour aller nettoyer la table. Elle trouva sur cette dernière un généreux pourboire ainsi qu’un mot écrit par la jeune fille, où l’on pouvait lire « merci ». Elle soupira.

- Ah… On n’en fait plus des comme elle.

Tatsuki traînait dans le square en bordure de son lycée, Elle ne savait que faire. Retourner dans l’enceinte de la bâtisse ne lui disait rien, surtout si c’était pour recroiser le nouveau surveillant ou son enseignante d’histoire géographie – ou dans le pire des cas, le proviseur du lycée. Finalement, n’ayant pas non plus envie de retourner en cours l’après-midi pour subir deux heures de philosophie et une heure et demie de travail pratique en physique, elle choisit d’aller se promener et de trouver un endroit calme où elle pourrait flâner en toute quiétude. Lorsqu’elle n’avait guère le moral, elle avait l’habitude d’aller s’asseoir dans l’un des arbres du bois à quelques minutes du lycée.

- Mais si je me rappelle bien les élagueurs sont passés avant-hier et ont taillé les arbres où j’avais l’habitude d’aller… Ça ne va pas être très discret.

Elle resta quelques minutes à penser puis, une idée lui vint soudainement. Il y avait un grand et vieux chêne au bout du square où elle se trouvait qui n’avait pas encore été taillé pour l’hiver et qui était encore habillé de son feuillage ocre – nous étions mi-octobre. Ses branches étaient larges, avec un peu de chance elle pouvait même se permettre une petite sieste.

- Bon et bien c’est décidé, je vais m’approprier l’une de ses branches.

Elle marcha jusqu’à l’arbre. Y monter n’allait pas être vraiment compliqué : les jeunes branches ayant poussé sur le tronc par le passé faisaient office de marche au vu de la manière dont elles avaient été coupées. Tatsuki se hissa dans le chêne jusque dans les plus hautes branches où elle pouvait s’asseoir et, lorsqu’elle en trouva une qui lui convenait pour s’y allonger, elle s’installa. Celle qu’elle avait choisie était pratique : d’une part, l’une des ramifications lui permettait d’accrocher son sac de cours, et d’autre part, une autre branche avait poussé en parallèle, ce qui lui assurait une sécurité en quelque sorte. Elle s’allongea, croisant les bras derrière la tête. Le vent faisait remuer les branchages, les plus fins et plus jeunes s’agitant davantage que les plus anciens. La jeune femme pouvait de temps à autre apercevoir le ciel, qui devenait de plus en plus noir.

- Il semblerait que l’on se dirige vers une bonne averse.

De temps à autre, quelques élèves passant à proximité la virent et ne purent s’empêcher de lâcher des moqueries. Elle n’y prêtait aucune attention, elle était beaucoup trop bien pour se laisser emporter par de telles sottises. Au bout d’un certain temps, le son de la sonnerie annonçant la reprise des cours de 14h parvint jusqu’à elle : cela ne la fit pas plus bouger pour autant ! Elle se contentait de regarder le ciel, les branchages, les nuages, rêvassant à tout et à rien. Et elle resta ainsi pendant un certain temps, durant lequel elle s’autorisa une petite sieste. Lorsqu’elle se réveilla, il devait être près de 16h. Le vent se faisait plus insistant, remuant les branches avec plus de vigueur, même les plus grosses. Le ciel était devenu noir. Une goutte de pluie tomba du ciel, s’écrasant sur le feuillage. Puis une autre la suivit, s’étalant cette fois-ci sur la joue de la jeune fille. Elle se redressa d’un coup, surprise. Et lorsqu’elle porta les yeux au ciel, la pluie s’abattit d’un seul coup.

- Ah bah me voilà bien ! dit-elle en râlant. Je savais qu’il allait pleuvoir mais de là à ce que ça tombe aussi vite… Je n’ai plus qu’à rentrer, je suis déjà à moitié trempée.

Elle allait attraper son sac lorsqu’il y eut une forte bourrasque qui secoua violemment la branche où elle s’était installée, ce qui l’obligea à se cramponner du mieux qu’elle le pouvait. Il y eut un éclair suivi de très près par un coup de tonnerre. La pluie se renforçait elle aussi. Un craquement retentit : l’une des branches les plus hautes du chêne céda sous la puissance du vent et tomba au sol, fendue en deux, soulevant un nuage de poussière.

- J’ai intérêt à descendre de là au plus vite où je vais y laisser ma peau ! Cette tempête est à faire peur !

Elle réussit finalement à attraper son sac mais, surprise pour un autre coup de tonnerre, elle ne prit pas garde et glissa sur le bois mouillé. Tatsuki se rattrapa de justesse, suspendue à la branche par une main, l’autre tenant son sac de cours. L’arbre était haut : si elle tombait, elle ne survivrait pas. Elle se retrouvait coincée, au beau milieu de la tempête. Les choses ne firent qu’empirer peu après : un de ses malaises lui revenait. Et cette fois-ci c’était sans nul doute le pire qu’elle avait eu jusqu’à présent : elle entendait une voix lui ordonnant des choses pour le moins stupides.

- Laisse-toi tomber… Annonça-t-elle.
- Quoi ? Qui est là ?! Sortez de ma tête et ne dites pas n’importe quoi ! Répondit la jeune fille à haute voix.
- Tel est ton destin… Aie confiance…
- Cela suffit ! J’en ai plus qu’assez de votre bêtise, si je lâche la branche, je vais m’écraser au sol et mourir !!
- Tatsuki…

La jeune femme aux cheveux mauves, offusquée que la voix connaisse son prénom et, dans l’élan de surprise, lâcha prise sans le vouloir. Elle tomba dans le vide et, avant de heurter le sol, disparut dans un flash lumineux. La tempête se calma aussi rapidement qu’elle était venue. Tout redevint normal, mis à part les quelques branchages au sol, et surtout la disparition de la jeune fille. Gigi, la boulangère, avait tout observé par sa fenêtre.

- Te voilà partie, Tatsuki… Dit-elle d’un ton solennel.

Personne ne sut ce qu’il advînt de la jeune femme aux cheveux mauves, emportée par la tempête.
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Re: [Roman] - Destins entremêlés

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Chêne


« Nous ne choisissons point. Notre destin choisit. Et la sagesse est de nous montrer dignes de son choix, quel qu'il soit. »
Romain Rolland


Des images. Des bribes de mémoires. Quelques souvenirs réapparaissant d’un passé voulu oublié. Jamais l’esprit de la jeune femme ne s’était trouvé en ordre, sans questions, sans fragments amoncelés au fil du temps. Toute une partie de sa plus basse enfance lui était inconnue, et le reste était pour le moins confus. Tatsuki ne comprenait pas qu’elle n’ait aucun souvenir en deçà de ses trois ans. Sa génitrice n’avait jamais voulu lui répondre.
Aucun enfant ne souhaite un jour voir sa mère mourir devant ses yeux. La jeune fille n’y échappa pas. Elle n’avait que huit ans lorsque l’incident se produisit. Elle revenait d’une promenade avec l’auteur de ses jours quand cette dernière, au coin d’une ruelle, la poussa dans un recoin, lui interdisant de sortir et lui promettant que tout irait bien. Ce ne fut – malheureusement – pas le cas : tout ce que Tatsuki vit à l’époque fut la projection d’une ombre sur le mur, rouant de coups celle de sa mère et l’achevant en lui planta une lame en plein cœur. Elle resta tétanisée un moment et lorsqu’elle n’entendit plus l’auteur du meurtre parler avec ses complices, sortit rapidement de sa cachette, se précipitant sur le corps gisant et sans vie de celle à qui elle portait tant d’amour.
Le meurtrier ne fut jamais retrouvé. Le dossier fut classé, l’affaire oubliée. Et pourtant, rares sont les crimes commis avec tant de sauvagerie. D’après les médecins légistes qui avaient observé la dépouille de la femme, le meurtrier semblait chercher quelque chose qui aurait été enfermé dans le corps : les différents impacts de la lame utilisée – s’il s’agissait bien d’une lame – laissaient penser qu’il avait creusé au travers des chairs. Cela parût tellement insensé aux yeux de la justice que l’on classa l’affaire comme étant « simplement » un viol suivi d’un meurtre prémédité.
Tatsuki, suite à cela, fut placée en famille d’accueil : elle n’avait jamais connu son père (et personne ne pouvait lui dire où il se trouvait) et n’avait pas d’autre famille. La situation avec ses parents adoptifs ne fut que peu plaisante : l’enfant, traumatisée par la mort de sa mère, avait un comportement agressif, associable. Suite à quoi ses tuteurs choisirent de la mettre en internat, ne pouvant plus gérer la situation. Elle rentrait tous les week-ends et chacun d’eux se terminait dans les pleurs ou dans les crises d’hystérie. Autant dire qu’une telle ambiance est difficilement supportable.
Aussi douloureux puisse-t-il être, le passé est une chose dont on ne peut se passer. Il permet de tirer leçon des erreurs commises, de devenir plus fort, d’apprendre à devenir quelqu’un. Car une personne n’ayant aucun souvenir de sa vie en deçà de ce qu’elle est aujourd’hui ne peut perdurer dans un bon équilibre, que ce soit sur le plan mental ou physique.



Quelques rayons lumineux bombardaient le visage blanc de la jeune femme toujours endormie. Quand allait-elle se réveiller ? Nul ne pouvait le savoir. Rien ne semblait pouvoir la sortir de cette torpeur l’ayant prise de force. Et pourtant, l’une de ses paupières blêmes se décida à bouger, suivie de sa jumelle quelques secondes après. Une profonde respiration incita ses yeux à s’ouvrir d’un seul coup. Aveuglement. Du blanc à perte de vue.

- Où… Où suis-je ? Demanda-t-elle, la voix tremblante.

Elle ne voyait strictement rien. Ses yeux étaient éblouis de part la rapidité avec laquelle ils avaient dû s’ouvrir. Puis finalement, un paysage flou se dessina peu à peu devant eux, se faisant de plus en plus net à chaque seconde.

- Mais que…

Lorsque le voile flou se dissipa entièrement, les pupilles de Tatsuki encore entièrement dilatées, se rétrécirent d’un coup. Elle se trouvait dans une immense clairière, au milieu d’une végétation qui lui était inconnue. Elle se leva, surprise d’un tel spectacle, et ne pouvant le croire. Où avait-elle bien pu atterrir ? Elle n’en avait pas la moindre idée. Mais elle ne paniquait pas pour autant : elle était bien trop impressionnée par ce qui s’offrait à ses yeux.

- C’est incroyable ! J’ai l’impression de me retrouver dans une autre époque !

Elle jeta plusieurs regards de droite à gauche, de haut en bas… Et deux choses attirèrent son attention. La première était que ses vêtements s’étaient retrouvés dans un piteux état, plus ou moins déchirés, et que son sac de cours se trouvait à ses pieds. La seconde l’intrigua davantage : derrière elle se tenait un immense arbre qui lui était singulièrement familier.

- Ça alors ; on dirait le vieux chêne du square… Mais oui, c’est bien lui, cela ne fait aucun doute ! Je reconnais ces branches taillées sur le tronc, et ces ramures au sol également ! Je n’y comprends plus rien. Où est-ce que je peux bien me trouver ?

Elle empoigna fermement son sac au sol et commença à s’aventurer dans ce lieu pour le moins insolite. La végétation était luxuriante, de part les nombreuses formes, couleurs et odeurs qu’elle laissait s’échapper. Des feuilles qui d’ordinaire ne feraient qu’une petite dizaine de centimètres d’envergure en faisaient ici plus du double – voire du triple pour certaines plantes. De nombreux insectes s’affairaient au milieu des fleurs aux mille et unes senteurs qui jonchaient le parterre verdoyant.

- Quelle faune étrange !

La jeune femme remarqua un buisson un peu en retrait d’où scintillaient d’étranges sphères rouges de petite taille. Intriguée, elle s’en approcha, peu méfiante et peut être aussi un peu trop curieuse. Et plus la distance la séparant de ces choses curieuses diminuait, plus ses yeux devenaient lumineux, accompagnés d’un sourire grandissant. A bonne hauteur, Tatsuki put enfin identifier de quoi il s’agissait. Ce n’était pas un buisson mais un arbuste où avaient poussé de petites baies rouges. Leur peau lisse reflétait avec vigueur les rayons du soleil transperçant l’épais manteau feuillu.

- On dirait de petites groseilles. Je me demande si c’est comestible.

L’envie de goûter ces fruits la démangeait plus qu’autre chose. Elle savait que ce n’était pas raisonnable et peut être dangereux – ne sachant pas exactement ce dont il s’agissait, mais le désir devenait insupportable.

- Après tout, une seule de ces baies ne va pas me tuer, quand je vois ce qu’ils osent nous servir au self…

Elle tendit délicatement la main pour cueillir la plus grosse et la plus mûre que ses yeux avaient repérée – la gourmandise peut s’avérer incontrôlable parfois. Ses doigts effleuraient la peau de velours du fruit et, au moment où elle tira sur la fine branche pour le cueillir, l’arbuste remua rapidement et une chose noire en sortit à vive allure tout en poussant un cri effrayant, suivie par d’autres de plus petite taille. Tatsuki, apeurée, recula soudainement, sans regarder où ses pas l’entraînaient. Son agresseur ressemblait à un grand corbeau d’au moins un mètre d’envergure, aux yeux rubis, au plumage plus sombre que la nuit et au bec acéré couleur d’or. Ses serres elles-aussi semblaient forgées dans le même métal précieux. Une émeraude était placée sur son front. Il s’était posé sur une branche du chêne avec ces congénères, et croassait vigoureusement pour intimider celle qui l’avait dérangé dans son festin de roi.
La jeune femme, se remettant de ses émotions petit à petit, ne détachait pas son regard de l’effrayant volatile et ne faisant guère attention, manqua de tomber. Dans sa chute, elle se rattrapa tant bien que mal sur le tronc d’un arbre plutôt maigrichon. L’impact le fit plier jusqu’à ce que ses branches les plus longues touchent le sol. Le tronc allait bientôt céder sous le poids de la jeune fille – même si elle n’était pas bien grosse. Elle se redressa rapidement, puis, chercha à nouveau l’imposant oiseau des yeux : elle ne le voyait plus. Où était-il ? Difficile à dire tant la végétation était épaisse.

- Je n’aime pas ça… soupira-t-elle. Je sais qu’il est quelque part par-là, je me sens épiée.

A peine eut-elle fini sa phrase que la sensation d’être observée se renforça davantage, et d’autant plus lorsqu’une plume encore plus sombre que la nuit voleta sous ses yeux. Quelques perles de sueur naquirent sur son front, hésitant à couler pour mourir quelque part sur son visage. Un craquement se fit entendre derrière elle. Les pupilles de Tatsuki rétrécirent rapidement ; sa respiration s’accélérant laissait deviner que l’angoisse s’emparait d’elle peu à peu. Après avoir rapidement avalé le surplus de salive noyant sa bouche, elle tourna la tête lentement pour voir ce qui se dressait derrière elle, les yeux fermés. Lorsqu’elle les rouvrit, elle se retrouva nez à nez avec la créature effrayante qui croassait de plus belle. Sans demander son reste, son sac empoigné avec vigueur, elle s’enfuit, effrayée.

- Mais où est-ce que j’ai bien pu atterrir bon sang ?! C’était quoi cette chose, hein ?!

Au bout du compte, se méfiant du moindre insecte à présent, sa course folle l’emmena jusqu’à un petit attroupement de buissons, très condensés. En leur sein se formait une espèce de trou où elle put se cacher, le temps de se remettre de ses émotions. La jeune femme s’était accroupie, serrant fort son sac contre sa poitrine.

- Bon, allez, calme-toi Tatsuki, tu es en train de rêver, rien de ça n’est réel.

Elle étouffa un rire nerveux.

- Mais oui, c’est ça ! Je suis tout bonnement en train de rêver, et je vais me réveiller ! continua-t-elle, se pinçant les joues, de plus en plus fort pour s’en convaincre. Je suis endormie comme une masse sur le chêne, et je vais me réveiller… Oui, je vais me réveiller… MAIS RÉVEILLE-TOI À LA FIN !!!

Rien n’y fit. Ses joues rougies et douloureuses n’avaient absolument rien changé à la situation. Elle soupira, déçue, perdue dans ses pensées, et n’étant toujours pas très rassurée. Quand soudain…

- Iiou !
- Hein ? fit-elle, relevant la tête, aux aguets.

La jeune femme se retourna rapidement. Rien. Pas une feuille n’avait bougé.

- J’ai certainement dû rêver. A moins que ce ne soit encore une bizarrerie de cette forêt paranormale.
- Iiou !!
- Mais, que !

Cette fois-ci, elle repéra la source du bruit. Ses yeux se portèrent devant elle, près de ses pieds. Une étrange créature poilue était assise et la regardait avec insistance, refaisant régulièrement des « iiou ! ».

- Mais, qu’est-ce que tu es, toi, cette fois ?
- Iiou !! Iiiiouuu !!
- Tu es mignon en tout cas !

La boule de poils ressemblait grossièrement à un lapin, d’une vingtaine de centimètres de haut – il était positionné sur ses pattes arrières, laissant donc libre ses membres de devant. Son pelage était d’un gris clair, les pointes de ses oreilles étaient couleur ébène, tout comme le bout de ses quatre pattes. En revanche, son museau, lui, était blanc. Jusque là, tout semblait normal. Ou du moins, jusqu’à ce qu’elle constate une paire d’ailes couleur crème, dont le bout des plumes était noir, et une queue semblable à celle d’un renard – tout aussi touffue en tout cas. Elle était stupéfaite par la beauté de cet animal étrange. Et, même si elle refusait de l’admettre, Tatsuki mourrait d’envie de le prendre dans ses bras pour lui faire un gros câlin.

- Iiou !
- Viens me voir, que je te caresse, renchérit la jeune femme, souriante, calmée, et surtout charmée.
- Iiiiiouuuuuu !!
- Qu’est-ce que tu as ?

Le lagomorphe semblait contrarié. Ses yeux bleu océan fixaient sans relâche l’humaine qui tendait sa main pour le toucher ne serait-ce qu’une minute. Il inclinait la tête, à droite, à gauche, en faisant de même avec ses oreilles à tour de rôle. Ses pattes avant se levaient de temps à autre, semblant montrer quelque chose.

- Tu essayes de me montrer quelque chose, non ?
- Iiouuuu ! répondit-il, faisant signe de sa tête vers l’endroit où elle était assise.
- Ça ne te plait pas que je sois assise ici ?
- Iiou, iiou ! fit-il d’un non de la tête.

Intriguée, Tatsuki sortit du buisson, faisant attention de ne pas marcher sur l’animal. Elle remarqua un tapis de feuilles près d’où elle était.

- Iiou !

Le lapin ailé y courut rapidement en bondissant, sa queue s’agitant au vent gracieusement. De ses pattes avant, il souleva les feuilles mortes, jaunies par le soleil, et lui montra qu’il s’agissait en fait de l’entrée d’un terrier.

- Ah ! Je comprends mieux maintenant. Tes petits sont cachés ici, et tu es sans doute leur maman.
- Iiou.

Quelques secondes après, la créature frappa le sol de l’une de ses grandes pattes. De petites boules de poils, au nombre de sept, de même couleur que leur mère montrèrent leur museau tour à tour, apeurés. Ils étaient encore plus mignons que leur mère.

- Iiouuuu ! leur fit-elle, leur indiquant de sortir.
- Je me demande ce qu’elle veut leur montrer.

Elle comprit toute seule après avoir regardé ce qui l’entourait. Une sorte de légume orange ressemblant à une carotte – certes un peu bizarre – était disposé au sol, sur de grandes feuilles. Les lapereaux se regardèrent, et coururent vers leur pitance. Ils la grignotèrent avec une telle rapidité qu’en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le légume n’était plus là. Ils retournèrent ensuite rapidement dans la maison souterraine, le ventre plein. La femelle ne tarda pas à les rejoindre, faisant un signe de patte à la jeune femme, puis disparaissant sous l’amas de feuilles blondes.

- Quelles créatures surprenantes ! Bon, ce n’est pas tout, mais je ne suis pas plus renseignée sur l’endroit où je me trouve, et pourquoi j’y suis. Je ne sais même pas l’heure qu’il est, je n’ai pas ma montre. Oh mais, c’est vrai que j’ai mon portable. Je pourrais téléphoner aussi pour indiquer ma position, aussi approximative puisse-t-elle être. Au moins je serai un peu plus avancée – du moins, je l’espère, soupira-t-elle.

Elle fit quelques pas, se mettant à l’abri du soleil mais restant tout de même dans un coin éclairé au minimum et saisit rapidement son portable. L’écran était fendu. Etonnée sur le coup, elle pensa que c’était dû à la chute du sac, des hautes branches de l’arbre l’ayant accompagnée dans sa sieste. La jeune femme râla quelques instants – il faut dire que ce téléphone lui avait coûté assez cher, soit la quasi-totalité de ses économies – et se résigna à regarder l’heure. Il était presque 17h. Son ventre gargouilla, réclamant un quatre-heure que sa maîtresse ne lui avait pas encore servi. Avant que son estomac ne fasse entendre une nouvelle fois son mécontentement, Tatsuki composa un numéro d’urgence. Mais…

- « Le numéro que vous avez demandé, n’est pas attribué. Veuillez réessayer ultérieurement. »
- Comment ça, le numéro n’est pas attribué ? Tu te fous de moi, saleté de portable ? dit-elle, recomposant le numéro, sans regarder l’écran de l’appareil.
- « Le numéro que vous avez demandé, n’est pas attribué. Veuillez réessayer ultérieurement. »
- Oh ! Tu vas te calmer, oui ?! Tu vas marcher, bon sang ! Je ne veux pas rester coincée ici !! s’exclama-t-elle, la colère la gagnant.

Elle regarda l’appareil. Un « tu du du » retentit. Elle s’énerva encore plus lorsqu’elle vit ce qui était écrit.

- « Echec réseau » ?… Tu te fous de moi ou quoi ?!! Mh…

Il n’y avait en effet aucun réseau disponible. Les petites barres sur l’écran l’indiquant d’ordinaire s’étaient volatilisées ; un gros texte en majuscule était apparu :

RESEAU NON DISPONIBLE

- C’est pas vrai… Ne me dites-pas que je suis tombée dans le seul endroit du monde où il n’y a aucun réseau, pour que même les appels d’urgence ne marchent pas ? Ce n’est pas possible ça, de nos jours, pas avec la technologie qu’on a !

Et pourtant… C’était le cas. Elle bouillait. La jeune femme se retint de le jeter par terre de colère. Après tout, même si elle ignorait où elle était, peut être pourrait-elle capter quelque chose un peu plus loin.

- Bon eh bien… Il semblerait que je n’aie d’autre choix que d’essayer de sortir de cette forêt bizarre… Sortir, oui, mais comment j’en sors ? Je ne vois rien d’autre que des arbres, des arbres, et encore des arbres ! Ah non, pardon, des feuilles par terre aussi, et des lianes, et d’affreuses bestioles.

Elle n’arrêtait pas de se plaindre. Elle s’énervait toute seule, parlait à haute voix comme si quelqu’un était à côté d’elle, et tapait du pied pour exprimer son mécontentement. Cela dit, toute cette agitation – certes futile – ne lui permit pas tout de suite de remarquer qu’elle n’était plus seule. Du moins c’est ce qu’il semblait. Un bruit de branche cassée retentit. Elle se calma d’un coup, attentive au moindre bruit.
L’atmosphère l’écrasait de plus en plus, renforcée par le soleil qui commençait à décliner à l’ouest. Une brise de vent caressa les feuilles les plus en hauteur, enchantant la forêt de sa mélodie à la fois douce et angoissante. Les branches se mirent à danser, elles-aussi, s’offrant au chant des ramures fleuries, de leur rythme endiablé. Un véritable menuet des bois. Délice aux oreilles des occupants. Renforcé par le chant d’oiseaux crépusculaires, véritables chefs d’orchestre. Cette musique transportait la jeune femme dans un état de sérénité incomparable.
Mais la réalité la regagnant subitement, elle resta sur ses gardes. D’autant plus qu’un bruit se fit entendre, tout près.

- Je ne suis pas seule, je le sais. Et quoi que ce soit, je vais devoir user de prudence si je tiens à rester entière.

Ce ne fut pas des paroles en l’air. Une respiration plutôt lourde, témoignant d’un épuisement, gagna ses oreilles, accompagnée de la danse forestière. Et puis soudain, plus rien. Silence. Un calme dévastateur. Pas même un chant d’oiseau. Rien. Absolument rien. Rien, à part elle, et des arbres. Et pourtant, une ombre s’extirpa des bosquets derrière elle, s’avançant, lentement. La respiration lourde reprit de plus belle. Une voix l’accompagna.

- Cela fait déjà un moment que je te cours après, mon enfant… Prononça l’inconnu, d’un ton solennel.
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Angie
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Questions



« Le destin n'est pas une question de chance. C'est une question de choix : il n'est pas quelque chose qu'on doit attendre, mais qu'on doit accomplir. »
William Bryan




La forêt s’était tue d’un seul coup, comme si elle voulait laisser la parole à l’étrange personne qui venait d’arriver. Tatsuki, qui était sur ses gardes, n’était pas vraiment rassurée et ne souhaitait donc pas, du coup, se retourner tout de suite pour voir qui lui parlait. Les corbeaux géants qui faisaient peur, et les lapins ailés très mignons, c’était une chose. Mais là, une voix humaine, parlant sur un tel ton, ça n’avait rien de rassurant. Après tout, il pouvait s’agir de n’importe quel type d’individu, puisqu’elle ignorait où elle était – une femme apparemment, de par le ton de voix. En réalité, la chose qui l’avait le plus inquiétée était que cette personne lui courait après, semblait-il.

- Dis-moi, tu comptes rester figée ainsi et ne même pas te retourner ? lui adressa la voix.

Elle avala sa salive, et se tourna lentement, s’attendant à toute éventualité – dans ce genre de situation, il valait mieux coopérer, surtout si l’inconnu était armé. Sa fierté en prit un coup, elle qui d’ordinaire n’avait peur de personne. Elle avait les yeux fermés.

- Et bien alors, qu’attends-tu pour ouvrir les yeux ? Que les dragons soient végétariens ?

La jeune femme se résigna à faire ce qui lui était demandé. Elle releva timidement ses paupières. Et là, ce fut un choc. Elle qui pensait être tombée sur une sorte de psychopathe, il s’agissait en fait d’une vieille dame, de petite taille. Elle en resta bouche bée.

- Ecoute, je me doute que mon irrésistible beauté te laisse sans voix mais ce n’est pas une raison pour garder la bouche ouverte, tu sais ! enchaîna la grand-mère, riant et souriant.
- Euh… Bonjour, oui…

Cette dame, de petite taille, n’était vraiment plus toute jeune – et pourtant on sentait une incroyable vitalité se dégager d’elle. Son visage rond et pâle servait de refuge à de nombreuses rides et tâches de vieillesse. Elle avait le dos voûté, renforçant de ce fait sa petite taille : à vue d’œil, elle ne faisait pas plus d’un mètre quarante de haut. Plusieurs petits trous s’étaient logés dans les habits qu’elle portait, témoignant qu’ils avaient, eux aussi, fait leur âge. Bien que petite, quelques rondeurs étaient bien présentes, comme pour la majorité des personnes de son âge. Ses cheveux d’argent étaient coiffés en chignon. Enfin, elle prenait appui sur une canne en bois tressé, incrustée de motifs en tout genre, et avec une sorte de gemme bleue en son sommet.

- Qui êtes-vous ? demanda la jeune femme, non rassurée.
- Qui je suis ? C’est là la première question qui te vient à l’esprit ? Excuse-moi mais je suis un peu surprise, je m’attendais à ce que tu me demandes autre chose, répliqua la vieille dame.
- Vous ne répondez pas à ma question… Je veux savoir qui vous êtes…

Tatsuki remarqua soudainement un détail qui l’intrigua beaucoup plus, lui faisant un peu peur : les oreilles de son interlocutrice… étaient taillées en pointe. Elles étaient de petite taille, et ornées de boucles d’oreilles.

- Mais… Ces oreilles… commença-t-elle.
- Je me nomme Chikako. Mais tu peux m’appeler Chika, c’est plus simple et beaucoup moins formel. Ah et, avant que tu me poses la question, non mes oreilles ne sont pas fausses.
- Je vous demande pardon …? déclara la jeune femme, ayant l’impression d’être prise pour une imbécile.
- Les quelques terriens qui sont déjà venus ici et qui m’ont rencontrée m’ont tous demandé si j’avais retaillé mes oreilles. Chez vous, celles des elfes sont toutes aussi longues que leur avant bras ?

Tatsuki ne comprenait plus rien et croyait nager en plein délire. Ce que cette femme disait n’avait aucun sens. C’était comme si un ordinateur restituait des morceaux de phrases et qu’il faillait ensuite les remettre dans l’ordre pour en comprendre le sens.

- Vous parlez toujours ainsi aux gens que vous croisez ?
- Je te demande pardon ? fit la vieille femme, intriguée.
- Non, parce que, je vous ai simplement demandé qui vous étiez, et vous voilà parti dans un délire rocambolesque auquel je n’ai strictement rien compris.
- Oh, excuse-moi ; je vais recommencer de façon mh, plus claire, si j’y arrive. Donc comme je te l’ai dit, je suis Chika, une elfe, d’un certain âge certes, mais regorgeant encore d’énergie.

Elle n’en croyait pas ses yeux. Elle se retrouvait face à une créature de légende, une elfe. D’ordinaire, c’était dans les contes pour enfants que l’on en retrouvait. Et pourtant, ici, ça semblait bien réel. Elle était stupéfaite.

- Pardonnez mon étonnement madame, mais, c’est la première fois que je rencontre quelqu’un comme vous.
- Ah bon ? Il n’y a pas d’elfes sur Terre ?

Une nouvelle fois, Chika venait de dire quelque chose de bizarre.

- Sur Terre ? Comment ça, sur Terre ? Je n’y suis pas, là, peut être ?
- Bien sur que non, ma mignonne !
- Mais, où je suis alors !?
- Et bien, sur Omowaku, que diable !

Cette fois, s’en était trop. Qu’une forêt bizarre soit apparue, passe encore. Que des créatures insolites y vivent, là aussi c'était dans la limite de l'acceptable. Qu’elle soit devant une elfe, là aussi, c’était mineur.

- Ça doit être des expériences menées par l’armée, pensa-t-elle.

Mais de là à se retrouver dans un autre monde… Il ne fallait pas pousser.

- Vous m'excuserez, mais j’ai du mal à y croire ! Cela fait à peine cinq minutes que vous êtes face à moi, et j’ai déjà l’impression de nager en pleine confusion ! Ma tête va exploser, j’en suis certaine.
- Du délire, certainement pas. Il s’agit simplement d’un monde parallèle au tien. Et ce n’est pas le seul, d’ailleurs. Tu n’as jamais entendu parler de la quatrième dimension ou autre dans ton monde, Tatsuki ?
- Bien sûr que si, mais là n’est pas la question ! Et puis, comment se fait-il que vous connaissiez mon nom en plus de ça ? Nous n’avons jamais été présentées que je sache !
- Eh ! Mais calme-toi voyons, je ne vais pas te manger, tu serais trop coriace. Et tu ne vas pas me dire que tu as peur d’une vieille comme moi tout de même ?
- Bien sur que non ! Ah, et, pour votre information, non, les elfes n’existent pas sur Terre, ils ne sont mentionnés que dans les contes pour enfants.
- Oh, et bien il faut dire que je n’ai encore jamais eu l’occasion d’y aller. Je te prie de m’excuser dans ce cas. Bon, si tu veux, je t’explique où tu es de façon plus claire, et comment tu as atterri ici.
- Ce ne serait pas de refus…

Tatsuki était extrêmement froide dans son comportement. Elle avait toujours eu l’habitude de se méfier de tout le monde, et cette fois-ci ne faisait pas exception.

- Bon. Comme je te l’ai dit, tu n’es plus sur la Terre mais dans l’une de ses dimensions parallèles, qui se nomme Omowaku. Ça, je pense que tu l’auras compris. Ensuite, comme pour chaque dimension, il existe ce que l’on appelle des portails qui les relient. Tu es arrivée par l’un d’eux, parce que quelqu’un t’a appelé.
- Bon, d’accord, je vais tâcher d’y croire, même si je trouve tout ça abracadabrantesque. Mais pourquoi m’aurait-on appelé ? Et qui ? Je ne connais personne ici.
- Mh, oui, bien sur…

La voix de Chika avait changé sur cette dernière phrase. Comme si elle ne voulait pas tout dire. Elle enchaîna avant que la jeune femme ne lui demande (encore une fois) pourquoi.

- Je ne peux pas tout t’expliquer pour le moment malheureusement, mais, c’est moi qui t’ai fait venir ici. Tu es passée par le portail du vieux chêne, n’est-ce pas ?
- Le vieux chêne ? Mais, comment… Bon. Peu importe, pourquoi avez-vous fait ça ?…
- Tant de pourquoi ! Enfin... Disons que, je vais avoir besoin de ton aide pour quelque chose, je t’expliquerai après. Pour le moment, j’aimerais que tu me suives. La nuit tombe peu à peu, et ces bois ne sont pas sûrs.
- Non mais, vous rigolez j’espère ? Vous croyez vraiment que je vais vous suivre ? Je ne vous connais pas. Et je sais que vous me cachez des choses, répliqua la jeune femme, s’énervant subitement.
- Je ne peux pas le faire pour le moment, répondit Chika, calmement.
- Ça, c’est vous qui le dites ! Oh, et puis, j’en ai assez à la fin de vos histoires à dormir debout, je n’y crois pas. Je m’en vais.

Tatsuki, contrariée qu’on la prenne de haut – elle voyait les choses ainsi, même si ce n’était pas le cas – tourna le dos à la vieille dame et commença à partir, le pas rapide, même si elle ne savait pas où elle allait.

- Ne crois pas t’en tirer comme ça mon enfant ! s’exclama l’elfe.

Elle marmonna quelques mots dans sa barbe que la terrienne ne pouvait entendre. Le joyau de sa canne vira du bleu au turquoise. Et tout se passa très vite. Elle pointa sa main à l’avant, dressée contre Tatsuki, et des flèches de glace en sortirent. Ces dernières, à vive allure, s’écrasèrent juste sous le nez de cette dernière, formant un mur de glace, l’empêchant ainsi de s’enfuir. La jeune femme était pétrifiée.

- Que… C’était quoi ça !? Vous cherchez à me tuer ou quoi ?!
- Au moins tu pourras voir que ce que je t’ai dit est bien réel ! La magie n’existe pas sur Terre que je sache.
- Pas comme ça en tout cas…
- Tu es convaincue cette fois-ci ? Ou dois-je abuser une nouvelle fois de l’un de mes tours pour que tu comprennes ?
- Non… Ca ira. J’ai compris, je vais venir… Mais, je vous préviens, je n’ai pas confiance en vous pour autant.
- Je n’en attendais malheureusement pas moins de toi.

La discussion fut close. La vieille dame partit dans une direction, suivie de la jeune femme qui râlait dans son coin, pour changer. Et comme lui avait dit l’elfe, l’épaisse forêt n’était pas sûre. La nuit tombait de plus en plus, et les créatures y vivant en redevenaient maîtres. D’étranges bruits peu rassurants, comme des cris d’animaux ou de créatures s'affrontant, fusaient de droite et de gauche, au travers du manteau feuillu obscurci par le coucher du soleil. De petites lueurs jaunes étaient tapies dans l’ombre, de petits yeux à l’affût d’une proie innocente et naïve, qui leur tomberait dans la gueule sans s’en rendre compte. Tatsuki n’était pas très rassurée. Un monde inconnu et sauvage comme celui-ci n’allait pas être de tout repos.

- Eh, madame !
- Je m'appelle Chika, répondit l'elfe, froidement.
- Ne soyez donc pas arrogante comme ça s'il vous plait, je voulais simplement vous poser une question.
- Commence déjà par être moins suspicieuse alors, ce n'est guère agréable. Bon, je t'écoute.
- Sommes-nous bientôt arrivées ?

Chika s'arrêta nette, visiblement étonnée de la question. Elle regarda son interlocutrice, les yeux grands ouverts.

- Quoi, qu'est ce que j'ai dit encore ? s'étonna la jeune femme.
- Rien de spécial, c'est juste que je m'attendais à tout sauf à ce genre de question !
- Oui et bien, c'est parce que je commence à avoir faim, voyez-vous. J'ai mangé ce midi, certes, c'était même très bon, mais ce n'était pas un vrai repas.
- Ne t'inquiète donc pas, nous arriverons très bientôt.

Elles continuèrent ainsi à marcher une bonne dizaine de minutes. La forêt s'épaississait à vue d'œil, les arbres semblaient plus anciens du fait de leur tronc imposant et de leurs puissantes racines bien ancrées au sol. Des galets jonchaient le sol çà et là, quelques roseaux courbant à leurs côtés, caressés par le souffle délicat de ce zéphyr agréablement tiède. De fines particules dorées et scintillantes dans la nuit tombante se faisaient voir de temps à autre, flottant dans l'air, jusqu'à devenir de plus en plus nombreuses. On ne tarda pas à entendre le chant d'une rivière, jouant avec les quelques feuilles se baignant dans son lit. Spectacle magnifique. On se serait cru dans un autre monde, n'ayant rien à voir avec celui l'ayant précédé de quelques heures.

- Chika, quelles sont ces choses si lumineuses ?
- Ce sont des Nymphes de Feu. On ne les trouve plus qu'à quelques endroits de la forêt de Tolka, elles ont été chassées de leur lieu de naissance.
- Des Nymphes de Feu ? On dirait des lucioles !
- Des lucioles, si on veut oui ! pouffa Chika, un grand sourire au visage. Tu sais, leur nom n'est pas si innocent. Il ne s'agit pas vraiment d'insectes lambda, comme on trouve de partout. Les Nymphes de Feu sont les enfants de cette forêt, elles sont remplies de magie. Et... Malheureusement, elles ont tendance à rapidement s'enflammer, lorsqu'elles se sentent menacées.
- Je ne comprends pas, si elles peuvent s'embraser, comment se fait-il qu'elles aient été... repoussées ?
- L'influence du mal, de la magie noire... Ce sont des êtres purs à l'origine, et toute entité exposée à son exact opposé n'a malheureusement que peu d'influence.
- En tout cas, c'est un spectacle de toute beauté...

Tatsuki semblait adoucie par la beauté des lieux. Comme quoi, tout loup prêt à bondir finit calmé par une musique qui lui est propre. Pour elle, des paysages comme celui-ci lui étaient apaisants, et lui rappelaient certains plaisirs qu'elle avait eus, comme s'allonger dans un arbre et regarder les oiseaux danser au gré du vent. La jeune femme semblait perdue dans ses pensées quand Chika la sortit de ses songes brutalement.

- Je me doute que le paysage t'émerveille, mais nous ne sommes pas encore tout à fait arrivées, et je pense que tu n'as pas encore vu le plus beau de cette forêt.
- Vous me faites peur, là.

La vieille femme l'invita à la suivre le long de la rivière. L'eau était cristalline, on arrivait à voir les moindres détails du fond. Quelques poissons pointaient le bout de leur nez l'espace d'un instant pour retourner se cacher sous un petit rocher. Elles arrivèrent finalement au bout du chemin, et Tatsuki n'en revenait pas. Une cascade se dressait face à elle, éclairée par des centaines de Nymphes de Feu se reflétant dans les eaux pures. L'endroit était encore plus magique, les arbres semblaient communiquer entre eux, les longues herbes s'attardaient à danser avec les branches de quelques saules pleureurs, dont les feuilles chatouillaient la surface de la rivière. Plusieurs rochers surplombaient cette dernière, colorés de bleu, et d'autres un peu plus loin jouaient avec la Lune qui venait d'apparaitre, changeant de teintes quand un nuage la cachait. L'onde de l'eau était parfois dérangée par quelques créatures nées des flots.

- C'est… C'est vraiment magnifique, déclara la jeune femme, conquise par tant de beauté.
- Je te l'avais bien dit. Et, tu vois, tu as bien fait de me suivre ! Tu aurais loupé ça sinon. Avoue que tu ne le regrettes pas.
- Je dois admettre que vous m'avez bien eue, je suis séduite, et ma frustration quant à mon incompréhension semble s'être volatilisée. Mais cela ne signifie pas pour autant que je n'ai plus de questions, ne vous méprenez-pas !

Elles se mirent toutes deux à rire. Tatsuki avait compris que cela ne lui servirait à rien de rester sur ses gardes ainsi, elle ne connaissait personne, à part cette vieille femme. Elle mit donc de côté son égo, et continua à parler, de meilleure humeur.

- Dites-moi, nous sommes ici maintenant, et je vous remercie de m'avoir montré cet endroit qui a fait taire mon mauvais caractère, mais je ne vois toujours pas où vous pourriez habiter.
- Hohoho… Les apparences sont parfois trompeuses, tu sais. Ma demeure est pourtant bien ici, quelque part… n'as-tu donc point d'idées ? Même si elles te semblent complètement insensées, je suis curieuse de les entendre.
- Laissez-moi réfléchir un instant.

La jeune femme croisa les bras, une main sur son menton, et se mit à observer les lieux. Une maison dans les arbres ? Non, vu son âge, elle ne pouvait pas grimper et jouer au singe tel Tarzan. Sous l'eau ? C'était une elfe, pas un poisson, et à vue d'œil elle ne possédait pas de branchies. La chute d'eau retint tout de même son attention, un certain temps. Après tout, pourquoi pas…

- N'y aurait-il donc pas une grotte derrière cette cascade ?

L'elfe ne prononça pas un mot, et se contenta de lui faire un signe de tête, signifiant qu'elle n'avait qu'à aller vérifier.

- Ça fait tout de même un peu trop film d'aventure ou de science-fiction, non ?
- Si tu veux vraiment le savoir, va vérifier.

Tatsuki s'exécuta. Un chemin de galets à la surface de l'eau semblait y donner accès. Elle marcha sur le premier, et manqua de tomber en allant sur le deuxième : il était glissant, du fait des remous de la rivière agitée. La jeune femme aux cheveux mauves avança de pierre en pierre, jusqu'à s'arrêter devant le manteau aquatique.

- Que dois-je… Eh ! Mais, comment avez-vous fait pour arriver déjà là ? s'exclama-t-elle, voyant que Chika était juste derrière elle.
- J'ai l'habitude, tu sais.
- Que dois-je faire maintenant ?
- Ne vois-tu pas un moyen de contourner la cascade ?

Tatsuki regarda un peu plus en avant et remarqua que le sol était surélevé du côté droit de la chute d'eau. L'eau n'était profonde que de quelques centimètres, et l'on pouvait voir que ce passage menait bien à l'arrière de la cascade. Elle s'y engagea, talonnée de près par la vieille femme qui souriait, confiante. Elles se retrouvèrent dans une grotte creusée à même le flanc de la montagne. De nombreuses petites plantes aquatiques avaient élu domicile dans de petites cavités de la paroi rocheuse. Tatsuki avança dans l’antre, curieuse de savoir ce qu’il y avait au bout. Elle s’arrêta brusquement, surprise de voir une lumière tout au fond.

- Eh mais, ce n’est pas une grotte ! C’est un tunnel.

Elle accéléra le pas, pressée de voir ce qu’il y avait de l’autre côté. La lumière fut aveuglante lorsqu’elle vit sortie de la grotte, Chika toujours à ses côtés. Les flancs de la montagne encerclaient une petite plaine. De nombreux arbres enracinés çà et là entouraient une petite maison. Le seul accès à cet endroit était, effectivement, la cascade et la grotte. Elles s’avancèrent vers la demeure de la vieille elfe.

- Si je m’attendais à ça…
- Tu auras eu une bonne intuition, ma maison est cachée au-delà de la cascade. Tu comprendras très vite pourquoi. Enfin, là n'est pas la question pour le moment. Entre, je t'en prie.

La jeune femme ne comprenait pas tout mais ouvrit la porte. Elle fut stupéfaite : la maison semblant si petite de l’extérieure n’en était pas moins immense. L'intérieur était très pittoresque, aménagé de meubles en bois sombre, où plusieurs bibelots avaient pris place, accompagnés de quelques photos. Un doux fumet embaumait les lieux, ne manquant pas de rappeler à son estomac qu'elle avait faim. Une table, près de l'entrée, avec de nombreux clichés, attira son attention. L'un d'eux était mis en valeur, deux personnes se tenaient dessus : Chika à gauche, et…

- Tiens, qui est ce jeune homme à côté de vous ? dit-elle, intriguée.
- C'est moi, déclara une voix grave, à quelques mètres d'elle, tapie dans l'ombre.
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Angie
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Re: [Roman] - Destins entremêlés

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L'homme félin


« Lorsqu'on se trouve face à un tigre, inutile de raisonner trop longtemps, il faut vite choisir entre le combat et la fuite. »
Lao She


La voix sombre était pour le moins effrayante. L'intonation qu'elle avait donnée laissait à penser que la personne - de sexe masculin de par le ton - était de carrure imposante, et peu commode. Tatsuki, peu rassurée, ne bronchait plus et n'osait plus rien dire, attendant que l'ombre se décide à faire quelque chose. Voyant son désarroi, Chika s'esclaffa. La jeune femme ne comprenait pas pourquoi elle le prenait de façon aussi hilare. L'obscurité dominait la pièce, il n'y avait que peu de lumière, cette dernière émanant en majorité de la cheminée. Le feu crépitait avec vigueur, envoyant quelques fois une étincelle en promenade dans la pièce ténébreuse. L'individu souffla, mécontent qu'on l'ignorât ainsi.

- Taku, tu comptes rester à contre-jour encore longtemps ? Ce n'est pas bien de l'effrayer comme ça, déjà que j'ai eu un mal de chien pour l'amener jusqu'ici, lança Chika, riante.

Taku ? Cette chose si effrayante avait un nom ? Enfin, effrayante, du moins elle l'imaginait. L'ombre soupira fortement, une nouvelle fois, et s'avança vers les deux femmes. Une flamme s'échappa du foyer pour venir l'illuminer l'espace d'une seconde. Tatsuki n'en fut que plus impressionnée. Il arriva à leur hauteur, bras croisés, imposant. Chika alluma la lumière, appuyant sur un interrupteur. C'était bon à savoir, aussi primitif qu'avait l'air ce monde, au moins, ils avaient l'électricité. L'homme n'avait pas l'air commode, sourcils froncés, ne relâchant pas ses bras musclés, appuyés sur son torse. Elle le dévisagea, bien qu'une telle activité l'eut répugnée il n'y a pas si longtemps.
L'inconnu faisait au moins une tête et demie de plus qu'elle. Ses épaules carrées, élancées, lui donnait des airs de géant. Son visage, mal rasé, n'avait pas les traits fins d'un adolescent. Il devait avoir plus de la vingtaine, c'était certain. Ses cheveux étaient ébouriffés en une tignasse rouge foncée, partant en tout sens, entremêlés comme des épis de blés courbant au gré du vent. La couleur de sa crinière ne fut d'ailleurs pas le seul détail à l'intriguer. Les sourcils en bataille du jeune homme, épais, étaient pareils. Elle en vint à le regarder dans les yeux, chose qu'elle n'avait pas encore faite, trop intimidée. Elle se trouva fort mal à l'aise, voyant qu'il ne l'avait pas quittée du regard depuis qu'il les avait rejointes. Elle s'y attarda cependant. Les pupilles du géant étaient fines, noires, telles celles des chats exposés en plein soleil. L'iris les bordant était d'un rouge vif, parsemé de tâches orangées. La dernière chose qu'elle remarqua, amusée, fut la pointe de ses oreilles : elles étaient noires, comme celles des tigres. Sans doute une petite coquetterie pour se démarquer. La jeune femme observa ensuite la façon dont il était habillé. C'était assez classique, mais cela n'empêchait pas de le mettre en valeur. Un polo noir, à manches courtes, orné de rayures blanches et grenat, venait vêtir sa musculature qu’on devinait aisément à travers le tissu. Le col, mal relevé, lui donnait des allures de mauvais garçon. Pour le bas, un vieux jean délavé lui suffisait. L'homme possédait une gourmette en argent sur le poignet gauche. Suivant l'éclairage, elle laissait apparaître des reflets vermeils, telles les flammes ayant prit vie dans la cheminée.
Le géant semblait impatient, attendant une réaction de Tatsuki peut être, ou alors mécontent qu'une inconnue à peine arrivée soit si curieuse au vu des regards qu’elle lançait à droite et à gauche. La jeune femme, peu téméraire, osa prendre la parole, impressionnée devant cet amas de muscles.

- Bon… Bonjour, balbutia-t-elle.
- Tu en as mis du temps pour arriver, répondit-il, glacial.

Quel toupet ! Voilà qu'avant même de lui dire bonjour, il lui reprochait son retard. Mais, quel retard d'ailleurs ? Elle n'avait pas choisi d'être là, c'était à cause de Chika. C'est du moins ce qu'elle pensait. Car en réalité, la faute revenait surtout à son estomac qui criait famine, et qui lui valut la colère de l'immense corbeau noir et monstrueux. Vint ensuite l'espèce de lapin ailé qu'elle aurait voulu emmener avec elle, et la vieille elfe et ses tours de magie. Un trop plein d'émotion pour la journée.

- Je… Je n'y suis pour rien, d'abord, et je ne sais même pas où je me trouve. Je ne sais pas ce que tu me reproches, et pourquoi tu es aussi froid avec moi.
- Tu me trouves froid ? Tu n'es pas au bout de tes peines, gamine. C'est mon caractère habituel.
- Ga… Gamine ?! s'énerva la jeune femme. Je ne suis pas une gamine ! J'ai 19 ans, et je m'appelle Tatsuki !

Le jeune homme se mit à ricaner. Les sourcils toujours froncés, l'expression de colère qu'il affichait depuis le début se transforma en allure moqueuse. Un sourire prit naissance au coin de ses lèvres. Il prenait de grands airs pour agacer la jeune femme. Il semblait avoir deviné qu'elle ne supportait pas ce genre de comportement. Pour lui, cela n'allait être qu'un jeu, jusqu'à ce qu'elle craque. Sadique ? Peut être, il était dur de le cerner pour le moment.

- 19 ans ? Vraiment ? J'osais croire que tu en avais 15, vu la façon dont tu réagis à chaque remarque.
- Allons vous deux, intervint Chika. Vous n'allez pas déjà vous disputer alors que vous ne vous êtes même pas présentés ? Cela serait navrant. Et puis, vous savez ce que dit l'adage terrien ? « Qui aime bien, châtie bien ».
- Cette phrase est complètement idiote, bouda Tatsuki, croisant les bras. Et ce n’est pas à moi de me présenter la première d’abord.
- En théorie, si. Tu es l’intruse ici, fit remarquer le géant. Chika et moi, nous nous connaissons depuis fort longtemps déjà, ce qui n’est pas ton cas.

Voyant qu’elle fulminait sur place, et cela l’amusant plus qu’autre chose, il eut un élan de bonté et se décida à faire le premier pas.

- Bon, comme il serait dérangeant que tu abîmes tes neurones avec une première crise de nerfs, je vais me montrer gentil, et me présenter d’abord. Je vois que tu meurs d’envie de me connaître. Avouons-le, je suis irrésistible, et toi aussi tu tomberas sous mon charme telle une groupie passionnée par ma splendeur innée. Mon dieu, qu’il est difficile d’être quelqu’un de parfait, déclara-t-il, passant une main dans sa crinière flamboyante, prétentieux.
- Que d’arrogance ! riposta-t-elle.
- Héhé. Je me nomme donc Taku, comme tu devrais l’avoir compris. Sauf si tu es vraiment sotte, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Contrairement à toi, je ne viens pas d’un autre monde. Je suis né sur Omowaku. Que dire d’autre qui pourrait daigner t’intéresser, je ne sais pas trop… Mon âge, peut être. J’ai 23 ans. Sinon, j’aime ma personne, je suis fier de ce que je suis. Ah oui, tiens, une chose que je n’ai pas dite : je suis un…
- Taku, ça suffit pour le moment, je ne lui ai pas encore expliqué, coupa Chika.
- Bien.

La jeune femme se retrouva perdue : que ne lui avait pas dit Chika ? Beaucoup de choses, à en juger par leur comportement. Et ce Taku, elle avait bien du mal à le supporter. Jamais elle n’avait vu de personnes aussi imbues d’elles-mêmes. Ca l’agaçait. Il fallait tout de même qu’elle dise qui elle était.

- Merci pour ces précisions dont je me serais volontiers passée pour certaines. Bon, et bien, puisque je dois moi aussi y passer… Je suis Tatsuki. Et oui, je viens de la planète Terre, bizarre non ? D’ailleurs, Chika, vous deviez m’expliquer pourquoi je suis ici, ne l’oubliez pas. Quoi d’autre… Mon âge, vous le savez déjà. Je n’aime pas les gens vaniteux, ils sont déplaisants, trop sûrs d’eux-mêmes, et finissent généralement par s’attirer toutes sortes d’ennuis.

Taku sourit à cette dernière remarque. Visiblement, elle n’était pas applicable dans son cas. La jeune femme aux cheveux violets s’apprêtait à rajouter diverses petites choses, quand son estomac prit la parole à sa place. Des bruits pour le moins étranges - voire inimaginables - en sortirent, témoignant d’un besoin de nourriture immédiat. Il voulait manger, et ce n’était pas une maîtresse belliqueuse qui allait l’en empêcher. Tatsuki n’en fut que plus gênée. Taku ne put s’empêcher de rire, l’embarrassant derechef.

- Allez, va, il n’y a aucune honte à être une ventre à pattes ! dit-il, rieur.
- Ce n’est pas drôle, cesse donc ces moqueries ! riposta-t-elle, furibonde.
- Allez, allez, calmez-vous tous les deux, de toute façon le repas est prêt, grâce à Taku, conclut Chika, les poussant vers le salon.

La vieille femme fit s’asseoir les deux jeunes gens sur une grande table en bois de chêne, imposante, mais vraiment belle. Elle était ornée de motifs sculptés aux extrémités, et un dessin y était gravé au centre : il représentait huit animaux différents. Néanmoins, ayant subi le courroux du temps, on ne le distinguait plus très bien. Tatsuki n’y avait reconnu qu’une espèce de tigre ou félin, un loup avec des ailes, et un dragon bizarre. Chika avait décidément des goûts particuliers, même si la table en soi était très jolie. L’elfe, partie dans une pièce à côté, arriva avec une grosse marmite en fonte, brûlante à en juger par la fumée s’en dégageant. Elle la déposa sur la table, et souleva le couvercle. Une agréable odeur de pot-au-feu en émana. Les narines en transe, Tatsuki en avait déjà l’eau à la bouche et fixait le plat, prête à se jeter dessus. Taku, décidé à l’embêter, s’avança à sa hauteur sans qu’elle ne le remarque et lui donna une pichenette sur le front. Elle réagit au quart de tour.

- Mais, ça va pas, oui ?! Pourquoi t’as fait ça ? s’exclama-t-elle, exaspérée. Au cas où tu ne le saurais pas, ça fait mal, drôlement même quand c’est fait par des pattes d’ours !
- Tu étais tellement en extase devant cette marmite que rien autour de toi ne semblait pouvoir te sortir de ça. C’était… Trop tentant, répondit le jeune homme, un sourire ravageur et moqueur aux lèvres.
- Je n’étais pas en extase, j’ai faim, ce n’est pas la même chose.
- Faim ou pas, tu n’es qu’une ventre à pattes, c’est tout.
- Mais, mais non !

Il rit aux éclats. Chika aussi, sur le coup. Tatsuki se vexa une nouvelle fois. Elle savait qu’il disait tout cela pour rire, mais il en faisait trop, et puis, c’était des blagues de mauvais goût. Taku, s’esclaffant toujours, se leva, et alla prendre des assiettes et des couverts dans un buffet, accompagnés de verres, et disposa le tout sur la table. Chika repartit chercher une carafe d’eau, puis servit le plat. La jeune femme regarda la nourriture, envoutée par le fumet qu’elle dégageait : c’était effectivement un pot-au-feu, ou du moins ça y ressemblait fortement. Taku et Chika commencèrent à manger lentement, en silence. Piquant délicatement un morceau de viande avec sa fourchette, Tatsuki le porta à sa bouche, et l’engloutit. Ses yeux méfiants s’ouvrirent d’un coup, charmés par le goût du plat : c’était excellent. Et, de là, les choses se passèrent très vite. Les bonnes manières ne comptaient plus pour elle ; son assiette se vida à une vitesse vertigineuse. Tout y passa : viande, légumes, et aromates. Les deux autres en restèrent étonnés. L’elfe l’invita à se servir une nouvelle fois si elle avait encore faim, ce qu’elle fit. Taku, mangeant lentement, glissa une remarque entre deux bouchées.

- Tu n’as pas mangé depuis plusieurs jours ou quoi ? C’est bien ce que je dis, tu es une vraie morfale, une ventre à pattes. Remarque, c'est mignon, un ventre à pattes, c'est tout rond et bien dodu, ça donne envie de dire « Oh, mais qu'elle est mignonne cette petite, quel appétit, on dirait presque une ogresse » ! Continue à t'empiffrer comme ça, et tu finiras aussi grosse qu'une bonne dinde de Thanksgiving ! s’esclaffa-t-il.
- Mais, tu vas arrêter à la fin ? Bien sûr que si, j’ai mangé, mais la nourriture était infâme, alors je ne me nourrissais que très peu. Et j’y pense, vous connaissez Thanksgiving, vous ?
- La culture terrienne ne nous est pas indifférente, répondit Chika. Nous avons beaucoup d’ouvrages sur votre culture, vos coutumes et votre histoire. Vous êtes un monde assez passionnant pour nous. Enfin… Tout dépend de la façon dont on l’entend.
- Comment ça ? Je ne saisis pas très bien. A propos, j’ai une question à vous poser. J’ai voulu téléphoner en débarquant ici pour me renseigner et savoir où j’étais, mais je n’avais pas de réseau. Vous pouvez me dire pourquoi ?

Chika et Taku se regardèrent, ne comprenant visiblement pas de quoi elle parlait. Voyant cela, Tatsuki s’excusa et alla fouiller dans son sac qu’elle avait laissé à l’entrée. Elle revint, un objet triomphant entre les mains.

- Mon téléphone portable ne peut pas marcher s’il n’y a pas de réseau, lança-t-elle, leur montrant ledit appareil.

Ils se regardèrent, subitement médusés. Les deux amis avaient l’air complètement apeurés par un appareil aussi petit. La jeune femme ne comprenait vraiment plus rien.

- Mais, pourquoi réagissez-vous ainsi ? questionna-t-elle, curieuse.
- Débarrasse-toi de cette chose immonde ! s’exclama Chika, apeurée.
- Ces engins sont interdits sur Omowaku ! Ils sont dangereux ! Renchérit le jeune homme.
- Comment ça ? Pourtant, nous les utilisons couramment sur Terre !
- Justement, vous sous-estimez les effets dérangeants de la plupart des appareils dont vous vous servez ! Les téléphones portables émettent des ondes dangereuses pour le cerveau ! Continua l’elfe. Je sais que chez vous, il y a eu de nombreux débats à ce sujet, et que les avis étaient pour le moins mitigés, mais ici, nous n’en voulons pas.
- Je ne comprends pas, vous avez l’électricité, et vous n’utilisez donc aucune technologie ? Mais dans quel monde suis-je tombée, ma parole ?
- La technologie s’avère incontrôlable si elle est trop avancée, rétorqua Taku, reprenant son air mauvais. Tu fais ce qu’on te dit, un point c’est tout.
- J’ai l’impression de me retrouver dans un film du genre « Terminator » où les machines vont se révolter… De toute façon, il ne marche pas, ça ne sert à rien que je le garde.
- Sache que nous préférons utiliser la magie, renchérit la vieille dame. Elle est à l’origine de notre monde, si nous existons, c’est surtout grâce à elle, alors nous pouvons lui faire confiance. Tatsuki, donne-le-moi, je vais m’en débarrasser.
- Non, laissez-le-moi. Finalement j’ai changé d’avis, il pourra toujours me servir si je rentre chez moi un jour.
- Comme tu voudras, mais ne le ressors pas devant nous. Vous m’excuserez, je vais débarrasser la table.

Chika partit donc, ayant fourré les assiettes vides, les verres et les couverts dans la marmite, et repartit dans la pièce qui faisait très certainement office de cuisine. La jeune femme se retrouva alors seule avec Taku, et n’en fut que plus mal à l’aise. Le son mélodieux du feu crépitant dans la cheminée s’estompa, la dernière bûche de bois presque entièrement consumée. L’homme se leva pour lui redonner de quoi se nourrir. Hésitante, Tatsuki souffla profondément et se décida à lui parler. Elle voulait en savoir plus sur ce monde, son esprit était rempli d’interrogations, toutes plus farfelues les unes que les autres. Elle espérait qu’il allait pouvoir répondre à la plupart d’entre-elles, tout en faisant abstraction de son caractère hautain. C’était peut être beaucoup lui demander tout compte fait. La jeune femme s’avança à sa hauteur, prenant sur elle-même.

- Dis-moi, Taku… J’aimerai savoir plusieurs choses à propos de ce monde.

Elle avait prononcé ces mots sur un air glacial, comme si lui parler était un vrai supplice. Il la regarda, étonné. Tatsuki continua.

- S’il te plait, range ton égo abominable pendant quelques minutes et écoute-moi.
- Je n’ai encore rien dit, que je sache, renvoya-t-il, moqueur.
- C’est justement ce que tu es en train de faire. Bref, il serait inutile que nous tergiversions là-dessus. Allez, raconte-moi l’histoire de votre monde, enchaîna-t-elle, contrariée.
- Ce n’est pas une question ça, c’est une affirmation.
- Ne joue pas avec les mots s’il te plait, c’est agaçant.
- Si je dois ranger mon égo, toi, tu devrais gommer ton sale caractère. Et puis, te raconter l’histoire d’Omowaku, c’est franchement long, il y a beaucoup à dire. Qu’est-ce que tu veux savoir en priorité ?
- Je ne sais pas moi. Ah tiens, si, je sais en fin de compte. Pourquoi cette maison est-elle cachée ? Je n’en ai pas compris l’utilité.
- Pourquoi ? Chika ne t’a donc rien expliqué ? Rien du tout ?

La jeune femme s’impatienta devant ces questions inutiles - d’après elle. Taku soupira et lui fit un signe de tête l’invitant à s’assoir. Elle s’exécuta ; il la rejoignit.

- Bon, je ne sais même pas par quoi je vais commencer… Ca risque d’être long en plus, et je ne vois pas pourquoi ça serait à moi de le faire, dit-il d’un air boudeur. Bref. Cette maison est cachée tout simplement parce que notre pays est en guerre. Omowaku était un monde prospère, il y a longtemps. Chacun pouvait vivre comme bon lui semblait. L’harmonie était parfaite, aucune espèce n’était rejetée par rapport à une autre.
- Alors pourquoi êtes-vous en guerre ? Et contre qui ? Et depuis combien de temps cela dure-t-il ? Et…

Taku s’avança relativement près de la jeune femme et posa son index sur ses lèvres rosées, l’empêchant de continuer. Surprise, elle rougit, gênée d’une telle proximité.

- Tu poses trop de questions. Cesse donc d’être insolente, gamine, ce n’est pas bien de couper les grandes personnes lorsqu’elles t’expliquent des choses.
- Arrête de te moquer de moi ! envoya-t-elle, furieuse. Et j’ai un prénom je te signale !
- Je sais, s’esclaffa-t-il, narquois. Je peux poursuivre ou tu continues ton petit caprice ?

Elle fulminait tant il était odieux. Elle n’avait qu’une envie : lui mettre une claque amplement méritée. Elle se retint, néanmoins, jugeant qu’il devrait d’abord lui répondre. Se ravisant, elle l’invita à continuer d’un signe de main.

- Comme je le disais, notre monde est en guerre à cause d’une des espèces y vivant. Cela a dû se produire il y a près d’un millénaire, je crois. La folie des hommes a engendré une race plus meurtrière que jamais : les Owoks. Tu me suis jusque là, ou ton cerveau s’est embrouillé les neurones ?
- Pas la peine d’en rajouter, je ne suis pas sotte. Continue.
- Héhé. Le but de ces créatures était de s’emparer du monde, de sorte à être reconnu comme un peuple à part entière qui y avait sa place. Le problème c’est que pour arriver à leurs fins, ils enfreignirent bon nombre de préceptes sur lesquels Omowaku est bâti.

Il marqua une pause, hésitant. Il en disait déjà beaucoup et ne savait pas jusqu’où il pouvait aller. Tatsuki le remarqua.

- Qu’est-ce que tu attends pour continuer ?
- J’allais le faire, ne t’impatiente pas. Les Owoks défièrent la magie et ceux qui la protégeaient jusqu’alors.
- Ceux qui la protégeaient ? Comment ça ?
- La magie a créé notre monde. Sans elle, il n’y aurait plus aucun équilibre. Pour protéger ce dernier, elle engendra également d’immenses animaux, chacun veillant sur une partie bien définie d’elle-même. On les appelle Chimères.
- C’est compliqué, la Terre est beaucoup plus simple ! fit-elle remarquer, perplexe.
- Je ne crois pas non, contredit-il, maussade. Ces chimères étaient très puissantes et attiraient la convoitise des personnes les plus avides de pouvoir. C’est pourquoi elles passèrent chacune un pacte avec le membre d’une famille en qui elles pouvaient avoir confiance. On appelait ce dernier Gardien. De ce fait, une réelle symbiose s’établissait entre les deux. La Chimère était invoquée en cas de nécessité par l’Invocateur de la famille.
- Comment ce pacte était-il fait ?
- L’Animal partageait le cœur de son hôte. Si le porteur venait à mourir, la Chimère, elle, choisissait un nouveau Gardien. Néanmoins elle perdait tous les souvenirs qu’elle avait en commun avec son prédécesseur. On n’a jamais vraiment su pourquoi, on suppose que c’était pour lui éviter de souffrir. Bref. Le cœur né de la fusion des deux parties se fit appeler Pierre Chimérique.

Tatsuki était complètement perdue. Trop d’informations lui avaient été fournies en même temps, et faire le tri parmi tout ça n’allait pas être chose facile. Elle croyait devenir folle, mais pourtant elle y croyait. Cela se tenait, si on croyait à la magie bien sûr - et elle n’avait plus de raison d’en douter depuis la démonstration de Chika. Taku sourit en voyant le visage de la jeune femme. Aussi perdue et désorientée pouvait-elle être, elle voulait en savoir davantage.

- Je te laisse deviner la suite, je pense que tu as suffisamment d’élément à ta disposition.
- Euh… Les Owoks ont cherché à s’emparer de ces, euh, Chimères ? questionna-t-elle.
- Gagné. Et malheureusement, ils ont réussi. De là, les choses se sont nettement compliquées. D’une part, une partie d’Omowaku se liguait contre eux pour rétablir l’ordre - les Rebelles - et d’autres part, les autres rejoignaient leurs rangs plus par peur qu’autre chose ou parce qu’ils étaient « les plus forts » - les Fatalistes. Ceux qui ne choisirent pas n’ont jamais été autre chose que de vulgaires pions, qu’on appelle Manants.
- Il y a donc trois camps qui s’affrontent, et ce depuis mille ans, tu dis ? Je ne comprends pas pourquoi ça dure depuis aussi longtemps, ce n’est pas logique.

Il la dévisagea, amusé. Elle se braqua, ne comprenant pas encore une fois. Taku semblait quelqu’un de vraiment lunatique.

- Quoi encore ? Arrête de me reluquer ! s’exclama-t-elle, en colère.
- C’est bien ce que je dis, tu poses trop de questions. Il y a des choses qu’il te faudra comprendre par toi-même. Ah et, si je te fixe ainsi, c’est parce que je trouve que tu ressembles à une vraie souillon, habillée comme ça !

Cette fois, c’en était trop. Elle sortit de ses gonds, prête à le gifler comme il le méritait. Elle se leva subitement, et, au moment où elle préparait son geste, ce dernier l’esquiva et s’éclipsa, riant et fier de sa bêtise. Tatsuki était furieuse. Chika revint au même moment.

- Je le déteste ! hurla-t-elle, ne pouvant retenir sa colère. D’accord, c’est gentil à lui de m’avoir expliqué autant de choses, mais il est vraiment méprisable quand il se met à me critiquer ! Qu’il ne m’aime pas, c’est une chose, mais ce n’est pas une raison pour me rabaisser ainsi !
- Allons, calme-toi va, il te taquine c’est tout.
- Mais !
- Il n’y a pas de mais, Taku a toujours été comme ça. Et puis, il n’a pas tort quant à sa dernière remarque, tes vêtements sont dans un piteux état. Suis-moi, je vais te montrer où tu vas dormir, il y a du linge pour toi.
- Ah parce qu’en plus, je dois rester ici ?
- A moins que tu saches où aller, je ne vois pas d’autre alternative ma chère. Allez, cesse donc de bouder, ça ne te va pas au teint.
- Oh et puis, comme vous voudrez… dit-elle en levant les yeux, capitulant.

L’elfe, toujours souriante, traversa la petite maison. Un grand escalier en bois menait à l’étage. La rampe vernie et un peu poussiéreuse était enjolivée de plusieurs moulures. Les marches craquaient à chacun des pas de la vieille femme, témoignant de l’âge avancé des lieux. Elles arrivèrent devant une porte en bois teinté, dotée d’un jour sur le bas d’où s’échappait une faible lumière. Chika l’ouvrit et invita la jeune femme à entrer. C’était une chambre, pas très grande certes, mais bien arrangée. Une commode venait s’appuyer contre le mur à gauche de l’entrée, surplombée d’un miroir et de quelques effets. Un petit bureau siégeait à côté, une lampe au-dessus. Un lit deux places trônait sur l’autre moitié de la chambre.

- Bon, je suis désolée, ce n’est pas très luxueux. Fais comme chez toi en tout cas. Des affaires propres sont dans la commode, je pense que c’est à ta taille.
- C’est trop gentil, répondit Tatsuki, boudant toujours.
- Allez, cesse de faire la tête s’il te plait. Si tu as besoin de quelque chose, je serai dans la chambre juste en face. Je te laisse. Ah oui, simple conseil. Tu as eu une journée éprouvante, tu devrais aller te coucher.
- D’accord…

Chika lui sourit et sortit de la petite chambre. La jeune femme s’avança vers le lit et se laissa tomber dedans. Il était douillé, c’était très confortable. Les bras étendus, son regard se porta dans le vide, vers le plafond. Beaucoup de choses lui étaient arrivées en moins d’une journée. C’était d’ailleurs inimaginable, en y repensant. Et pourtant, ce n’était pas un rêve, elle vivait bien tout cela. Les paysages magnifiques, les bruits de la forêt, les visages de ces nouvelles personnes ; tout se mêlait dans son esprit, et sous le joug de tant d’informations et d’un trop plein d’émotions, elle finit par s’endormir, sans avoir pris le temps de se changer.

Le clapotis de l’eau résonnait dans la grotte, faisant écho sur les murs rocheux et parvenant jusqu’à la maison. Le bruit du vent, s’y engouffrant et s’y mélangeant, devenait effrayant. On aurait dit qu’une bête rodait en ces lieux, tapie dans les ténèbres de la nuit, guettant la moindre trace de vie pour la dévorer ensuite. Se faisant plus insistant, il parvint jusqu’aux oreilles de la jeune femme, chose qui la réveilla en sursaut. La lampe de bureau était toujours allumée, contrairement au reste de la maison. Il devait être tard. Elle décida de se lever, n’arrivant plus à se rendormir après avoir tourné plusieurs fois dans son lit. Elle s’avança vers la commode et en ouvrit le premier tiroir. Des habits y étaient soigneusement rangés. D’un côté, un vieux jean, de l’autre, quelques tee-shirts à manches longues et courtes. Tatsuki décida de se changer, histoire d’aller marcher un peu au rez-de-chaussée : cela l’aiderait peut être à retrouver le sommeil. Elle ôta rapidement ce qu’elle portait - dans un état misérable - et enfila le pantalon et un haut à manches courtes de couleur bleu lavande, qu’elle attrapa rapidement. La lumière éteinte, elle ouvrit la porte et se retrouva dans le noir le plus total.

- Je n’y vois rien, je vais tomber dans l’escalier, je suis tellement douée… Peut-être que je pourrais m’éclairer un peu avec mon portable.

Elle retourna le chercher et l’alluma. Effectivement, la luminosité de l’écran dissipait quelque peu l’obscurité dominant les lieux. Tatsuki descendit les marches une par une d’un pas léger, prenant garde à ne pas faire craquer les marches en bois. Arrivée en bas, la jeune femme chercha à tâtons un interrupteur ou le bouton d’une lampe. Elle finit par en trouver un, et au moment où elle allait l’actionner, un bruit lourd retentit dans la pièce. La grande horloge près de l’escalier (qu’elle n’avait pas vu jusqu’alors) annonçait de ses deux coups de carillon qu’il était deux heures du matin.

- Il est déjà si tard ? Je ne pensais pas m'être assoupie aussi longtemps.
- Je croyais que tu dormais, prononça une voix familière.
- Ah !

La lumière inonda le salon. Taku se tenait à proximité, la dévisageant. Effrayée, elle se remettait de ses émotions.

- Tu m’as fait peur, idiot !
- Idiot ? Tu as vu l’heure qu’il est ?
- Et toi alors, qu’est-ce que tu fais ici ? Tu me surveilles à présent ? renvoya-t-elle, mécontente.
- On peut dire ça, oui. J’avais peur qu’en digne sauvage tu veuilles te sauver.
- Sauvage, c’est la meilleure. Je ne suis pas un animal que je sache.

Elle ne le remarqua pas mais cette dernière réflexion affecta le jeune homme. Il grimaça, contrarié. S’avançant vers elle, il reprit son visage coléreux, bras croisés.

- Qui te dit que seuls les animaux peuvent être sauvages ? lança-t-il, agressif.
- Eh, calme-toi, pas la peine de me parler comme ça. D’ailleurs, ça tombe bien que tu sois là, j’avais d’autres questions à te poser.
- Encore ? Je te trouve vraiment trop curieuse. Enfin bon, je t’écoute, soupira-t-il.
- Je ne sais même pas si tu vas me répondre, mais tant pis, je me lance quand même. Je voulais que tu me parles de Chika et de toi. Votre relation est vraiment particulière, il me semble. Non ?

Le géant ne réagit pas tout de suite, mais rit. Amusé, il répondit tout sourire.

- Si tu trouves que nos rapports sont spéciaux, c’est normal. C’est comme si elle était ma grand-mère. Elle m’a recueilli lorsque j’étais enfant, je ne devais pas avoir plus de 5 ans quand elle m’a trouvé. Je lui dois beaucoup. Sans elle, je ne serais sans doute plus de ce monde.

Il était étonnamment bavard et enjoué, à contrario des quelques heures précédentes. Autant en profiter alors, surtout qu’il avait l’air particulièrement lunatique.

- Dis-moi, Chika et toi vous êtes impliqués aussi dans cette guerre dont tu m’as parlé ?
- Oui, bien entendu. Chika, son histoire est assez tragique. Je ne pourrai pas tout te raconter, elle n’aime pas qu’on en parle, mais bon, comme tu vas rester avec nous un moment semble-t-il, autant que tu saches le minimum. Comme tu l’auras compris, c’est une elfe. Sa vie est donc plus longue que celle d’un être humain banal. La guerre n’a pas été toujours au même stade, il y a eu différentes phases, plus ou moins violentes. Chika en a vu plusieurs et a perdu beaucoup de ce qu’elle possédait. Sa famille, ses amis, ses enfants qui lui ont été volés par l’ennemi… Le reste est assez compliqué, moi-même je ne saurai l’expliquer. Il faudra que tu lui demandes toi-même.
- Et toi ? Pourquoi es-tu tant concerné ?

Taku ne répondit pas. Il détourna les yeux, baissant la tête. Tatsuki, intriguée, réitéra sa question, insistant davantage. Les yeux du jeune homme devinrent de plus en plus sombres.

- Je ne sais pas si c’est une bonne chose de parler de moi. Je ne suis pas quelqu’un d’intéressant, si on peut dire.
- Je te trouve vraiment lunatique. Un coup, tu es vraiment odieux, un autre, tu es gentil. Bon sang, mais je ne vais jamais arriver à te cerner. On dirait que tu caches une autre facette de toi.
- Et de quel droit peux-tu dire ça ? De quel droit te permets-tu de me juger ? Tu ne me connais pas, tu ne sais rien de moi… répondit-il, sans la regarder, glacial.
- Je ne demande pas mieux. Si on veut bien s’entendre, il faut partir sur de bonnes bases non ? Je fais des efforts pour être un minimum gentille, et toi, tu m’envoies paître ! Tu es agaçant.

Les pupilles du géant se rétractèrent, devenant aussi fines qu’une aiguille. L’iris les bordant vira subitement au rouge vif. Ses poings serrés tremblaient, comme s’il cherchait à se contenir. Il la regarda avec mépris ; elle, le dévisageait, choquée.

- Désolé que sa majesté ne me trouve pas à son goût ! Et ce n’est pas la peine de me fixer ainsi, je sais très bien ce que tu penses de moi : « Oh mon dieu, quelle est donc cette créature mi-homme mi-bête qui me fait si peur, au secours, aidez moi » ! Oui, c’est ça, aie peur de moi ! De toute façon, qui peut sympathiser avec une bête ? Qui ? Personne, car vous, les humains, vous ne vous arrêtez qu’à l’apparence et rien d’autre. Vous me faîtes pitié.

Ses paroles avaient été prononcées avec une telle animosité que la jeune femme reculait sans s’en rendre compte vers la porte, pour gagner l’extérieur.

- S’il te plait, arrête, tu me fais vraiment peur là, articula-t-elle la voix tremblante.
- Ce n’est pas ce que tu cherchais avec toutes tes remarques désobligeantes ? Ce n’est pas ce que tu voulais ? Me voir sous mon véritable jour ?
- Taku, je… Je t’en prie, arrête ça…
- Je suis un Lyvenn, un enfant des montagnes, mi-homme, mi-tigre, et je n’aime pas ceux qui se permettent de poser un regard superficiel sur moi, sans avoir cherché à me connaître tel que je suis vraiment !

Il s’était avancé au fur et à mesure qu’elle reculait. Sa fureur ne semblait pas baisser d’un pouce. Tatsuki sentit la poignée de la porte dans son dos et, sous l’élan de la peur, la saisit rapidement et s’enfuit, en lui criant qu’elle était désolée. L’homme restait là, planté devant la porte, se calmant. Le regret le gagnant rapidement, il frappa la porte de ses si grands poings.

- Qu’est ce qu’il m’a pris bon sang… Ce n’est pas ce que je voulais…
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Angie
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Re: [Roman] - Destins entremêlés

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Eveil


« La peur est le plus grand de tous les maux dont l'humanité est affligée. Sans la peur, il n'y aurait pas de guerres… »
Roger Fournier


Des bruits de pas se pressaient dans la forêt, écrasant l’herbe à vive allure. Une respiration forte et rapide les accompagnait. La jeune femme, en sueur, détalait comme si elle était poursuivie par un féroce prédateur. Elle n’y voyait rien ; elle ne savait où ses pas l’emmenaient. Elle était juste prise de panique. Le jeune homme avait dévoilé un trait de sa personnalité qu’elle aurait préféré ne pas connaître : un homme froid, violent, agressif. Néanmoins, Tatsuki reconnaissait qu’elle en était en partie responsable. Elle n’avait pas à avoir un tel comportement avec ces gens qui l’accueillaient, alors qu’elle n’avait nul endroit où aller.

- Je dois faire demi-tour et m’excuser… J’ai été vraiment odieuse, surtout avec lui, se dit-elle, avec regret.

Mais sa volonté n’arrivait pas à gagner ses jambes devenues incontrôlables, qui continuaient de courir, encore et toujours, alors qu’elle s’enfonçait de plus en plus dans les ténèbres de la forêt. La Lune était voilée par un nuage, sombre et épais, l’empêchant d’éclairer de quelques rayons blanchâtres la toison feuillue dominant les lieux. Les rares lumières apparaissant de temps à autres étaient les Nymphes de Feu, peu nombreuses à une heure aussi avancée. La jeune femme finit tout de même par s’arrêter, essoufflée, vidée de toute énergie. Sa respiration était irrégulière et saccadée, la transpiration recouvrait son visage. Elle s’adossa à un arbre pour se reposer un moment et faire état des lieux : elle était complètement perdue, au beau milieu d’une obscurité quasi-totale.

- Idiote ! Et qu’est-ce que tu vas faire maintenant, hein ? Je ne vais quand même pas dormir ici, en attendant que le soleil se lève ? Chika m’a bien dit que cette forêt n’était pas sûre, je n’ai pas envie de me faire attaquer par une créature quelconque.

Elle se redressa et décida malgré cela d’essayer de retrouver son chemin, chose très peu probable. Tatsuki se disait qu’elle n’avait qu’à aller tout droit. Ainsi, elle finirait bien par atterrir quelque part, ou par retrouver la rivière dans le meilleur des cas (à supposer que celle qu’elle avait vue était la seule dans le coin). Le vent soufflait tendrement au milieu des arbres, tiède alors qu’il était très tard - ou tôt suivant le point de vue. Les dernières Nymphes de Feu semblaient avoir disparu dans la noirceur de la nuit. Le silence régnait, imposant, voire même un peu effrayant. Les seuls bruits qui parvenaient aux oreilles de la jeune femme étaient les feuilles s’enchevêtrant les unes aux autres, mêlant leurs couleurs assombries. Un peu plus vigoureux. Forte bourrasque. Calme plat. Les nuages s’organisaient en un manteau plus épais, laissant la Lune, seule, au milieu des ténèbres. Tatsuki était pressée de retrouver son chemin. Son courage flanchait au fil des secondes. L’obscurité avait englouti les lieux. L’atmosphère se faisait de plus en plus stressante. Puis, l’abcès éclata soudainement : un roulement déchira le silence, suivi de près par un éclair pourfendant le ciel opaque. Une larme s’échappa de l’un des cumulus et s’écrasa au sol, se dispersant en un millier de fines particules. Ses sœurs se joignirent à elle, accélérant sur les derniers mètres, rebondissant sur les feuilles maculées de perles cristallines. Les sons alternaient, créant une musique douce et reposante. L’odeur de l’herbe mouillée, doux arôme, mélangeant le suc des multiples brins à celui de la terre battue, laissait planer un parfum frais, incomparable, tout simplement indescriptible. C’en devenait enivrant.

- Cette odeur me rappelle bien des choses. Elle est exactement la même, où que l’on se trouve… C’est rassurant, au moins je ne suis pas tombée dans un monde où même mes sens seraient perdus.

La pluie continuait de s’abattre, sans broncher, libérant sur son passage une multitude de senteurs boisées. L’écorce des pins semblait changer de fragrance d’un arbre à l’autre. La jeune femme était complètement trempée mais elle n’en avait que faire : cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas pris le temps d’écouter le chant d’un orage d’automne. Elle s’était arrêtée en plein milieu du sentier sur lequel elle avançait, la tête levée vers le ciel, ressentant la moindre pression des gouttes qui se pressaient sur ses pommettes.
Un nouveau coup de tonnerre déchira la musique cristalline, ralentissant la course folle des larmes s’échappant des nuages. Le vent regagna en puissance. La tempête, calme jusqu’alors, s’intensifia. L’atmosphère avait elle aussi changé. Plus stressante. Plus effrayante. Un feulement résonna au travers des buissons. Suivi de quelques grognements. Bruits de pattes s’abattant violemment au sol. Tintement de lames. Et l’orage qui n’en finissait pas. Le souffle court et son rythme cardiaque s’emballant, Tatsuki se remit à courir, cherchant à gagner le plus vite possible un endroit où elle pourrait se cacher, ou du moins être en sécurité. Elle n’avait aucune idée de la source à l’origine de ces bruits, et elle n’avait aucune envie de le savoir. Elle était seule. Seule et complètement perdue. Seule… et sans défense. Elle s’arrêta face à un pan rocheux : c’était un cul de sac. Les choses l’avaient suivie. Elle le sentait. Et impossible d’escalader l’obstacle, il était bien trop glissant à cause de la pluie. Elle ne pouvait pas non plus se cacher. Il n’y avait rien d’autre qu’une grosse pierre à côté d’un arbre de petite taille : ce n’était là qu’une misérable façon de se dissimuler aux yeux de ses poursuivants. Mais n’ayant pas le choix, elle s’exécuta.

- J’espère que cela sera suffisant pour me protéger… Je n’aurais jamais dû m’enfuir, imbécile que je suis ! Se dit-elle.

Sortant timidement et prudemment la tête de l’abri, elle attendait patiemment qu’ils se révèlent au grand jour. Des bruits de pas écrasant la terre se firent plus proches. Un éclair pourfendit le ciel. Elle les vit. Une meute de loups. Immenses. Une vingtaine. Babines retroussées, des filets de bave dégoulinaient et s’écrasaient au sol, se mêlant aux flaques boueuses. Deux grands yeux jaunes injectés de sang étaient logés sur le crâne aplati des bêtes. Leurs poils trempés mêlaient couleurs argent et noir. Les crocs contrastaient complètement, de leur blanc étincelant. Le reste de leur corps était tout aussi impressionnant. Les traits d’une musculature non négligeable rappelaient le tronc humain, recouvert de la même toison sombre et velue, se terminant par une queue tout aussi touffue. Leur dos, néanmoins, était d’un gris plus clair. Leurs pattes noires se terminaient par de longues griffes, maculées de poussières et de sang.
Devant eux, trois de leurs semblables se tenaient sur leurs pattes arrière. Fiers. Deux cornes étaient fichées sur leur tête, à côté de leurs oreilles ébène. Leurs yeux étaient différents, imprégnés d’une lueur rouge incroyablement vive. Chacun tenait fermement un sabre argenté, à la lame émoussée. Le cliquetis d’une armure légère résonna.
La jeune femme avait peur. Incroyablement peur. Elle comprenait au fil des secondes que sa vie risquait d’être écourtée au moindre instant. Le regret la rongeait de plus belle. Des perles de sueurs prenaient vie sur son front. Elle ne devait commettre aucune erreur. Pas un faux pas. Sinon tout serait terminé. Cœur battant la chamade. De plus en plus fort. Souffle retenu. Elle attendait qu’ils réagissent. Mais rien. Ils demeuraient immobiles. Que faisaient-ils ?

- Borgas… lança l’un des trois grands, d’une voix sombre et grave. Combien de temps… Se passera-t-il… Avant… De passer à l’acte ?...
- Patience Rymos… répondit l’intéressé. Je ne sens pas… Clairement son… Odeur… Je ne suis pas sûre que… L’humaine… Soit ici.

Le rythme cardiaque de Tatsuki s’emballa encore plus. Comment pouvaient-ils avoir du mal à la flairer ? A cause de la foule d’odeurs présentes ? De la pluie détrempant les sols glaiseux ? Ou bien feignaient-ils de ne pas la localiser avec aisance ? L’un des monstres de la nuit en retrait feula longuement de sa gorge imposante. Le dénommé Borgas - le chef visiblement, de part le prestige qu’il dégageait et sa position au sein des trois - le dévisagea, agacé.

- Non, nous devons la retrouver… Nous n’abandonnerons pas la mission, imbécile… Il ne nous le pardonnerait… pas… allons par-là, lâcha-t-il tout en pointant une direction opposée à celle de la jeune femme, de ses gros doigts velus.
- Mais… Borgas…
- Silence, Mynos ! Je sais… Ce que je fais…

Le chef de meute ricana longuement, tout en regardant le rocher, méfiant. Ils s’éloignèrent d’un pas lent. Ils s’estompèrent jusqu’à disparaître dans le manteau forestier. Tatsuki ne les voyait plus. Un soulagement s’échappa de sa gorge muette. Elle était sauvée. Ou un peu trop naïve. Elle allait sortir de sa cachette, la pression ayant remplacé sa prudence, quand un phénomène auquel elle ne s’attendait pas se produisit. Un violent mal de crâne, l’accabla, l’empêchant de se redresser. Il était accompagné de la même voix qui lui avait ordonnée de se laisser tomber du grand chêne.

- Ne sors pas… C’est un piège…
- Encore ?! Mais quand vais-je donc être tranquille ?! s’exclama-t-elle, peu discrète.
- Reste où tu es…
- Non !

Bien décidée à faire ce qu’elle voulait, elle se redressa brutalement. Tout arriva très vite. L’air se déchira et un objet pointu se logea dans la paroi rocheuse, à quelques centimètres de son visage. Son cœur atteignit des sommets, martelant sa poitrine douloureuse de coups toujours plus forts. Ils n’étaient jamais partis ; ils n’avaient fait qu’attendre, attendre qu’elle se manifeste d’elle-même. Tatsuki, effrayée, regarda dans leur direction. Un sourire empli de haine dévoilait leurs intensions funestes. Aucun son ne s’échappa de sa gorge nouée par l’angoisse. Elle était seule. Et pétrifiée.

- Te voilà enfin… Je savais bien que… Tu tomberais dans un piège aussi simple… lança Borgas, fier de lui, pupilles complètement rétractées dans ses globes rouges. Ça… Empeste l’humain, à plusieurs centaines de mètres… Comment nous aurait-il été permis… De te perdre ?…

Elle ne réagissait pas, toujours tétanisée.

Loin dans la forêt, de grandes foulées frappaient le sol, slalomant au travers des perles de cristal. Un homme courant à vive allure. Epiant la moindre parcelle sylvestre, à l’affût du moindre indice, il cherchait quelqu’un. A ses côtés, un imposant animal galopait. Leurs cadences étaient synchrones. Ils s’arrêtèrent d’un coup, sur leurs gardes. L’homme huma l’air chargé d’odeurs, râlant de ne pas y trouver celle qu’il cherchait. La bête grogna, mécontente. Ils repartirent aussi vite qu’ils s’étaient stoppés. L’homme prit la parole.

- J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Je n’arrive pas à la localiser, mon odorat est mis à rude épreuve.
- Taku, ne désespère pas. Elle est vivante, j’en suis certain, répondit l’animal d’un ton solennel.

Ainsi, Taku s’était lancé à sa poursuite. Il devait faire vite, la jeune femme risquait d’être en danger. Il avait réveillé Chika pour lui raconter ce qu’il s’était passé. Cette dernière n’en fut guère contente et lui ordonna d’aller la retrouver. La forêt était trop dangereuse, surtout pour elle. Il lui avait répondu que c’est ce qu’il comptait faire. Elle avait soupiré.

- Cette fille va nous poser de nombreux problèmes si elle ne se maîtrise pas davantage ! beugla-t-il.
- Laisse-lui le temps de s’habituer à notre monde, ça ne doit pas être facile pour elle.
- Je sais. Allez, dépêchons-nous.

Les deux comparses s’enfoncèrent plus profondément dans le manteau feuillu.

Tatsuki se retrouvait dos à la paroi rocheuse, cernée de tous les côtés par les loups géants. L’orage se calma, ses roulements s’estompant petit à petit. La pluie, elle, ne faisait que se renforcer. L’eau courrait sur les longs poils trempés des bêtes. Borgas et ses deux sous-fifres s’avancèrent à la hauteur de la jeune femme tremblante. Le chef de meute récupéra son arme enfoncée dans la roche d’un coup vif, entraînant la chute de quelques morceaux de pierre. Il ricana et exposa un large sourire. Sa langue baveuse ne cessait de passer sur ses crocs laiteux. Les deux autres l’imitèrent. Le reste de la meute attendait sagement. La respiration de Tatsuki se faisait de plus en plus rapide. Son visage avait blêmi. Elle ne savait que faire, elle était prise au piège.

- Bien… Cette fois, tu ne pourras pas t’échapper… Je te conseille de coopérer… Si tu tiens à ta misérable petite vie…

Elle devait réagir, c’en devenait capital. La jeune femme ferma les yeux, prit une profonde respiration, et réussit à extirper quelques mots de sa gorge jusqu’alors muette. La peur pouvait se lire dans ses yeux mauves.

- Que… Que me voulez-vous ? Je... Je ne... Je suis perdue…
- Ne pose pas de questions…
- Silence, Mynos ! Je suis l’Alpha, c’est moi qui réponds aux questions ! le coupa Borgas, irrité. Tu n’as pas à poser… De questions, humaine. Je te conseille d’obtempérer… Ma troupe de Lobos… Serait ravie de goûter à ta chair…

Ainsi, les loups marchant sur leurs quatre pattes étaient des Lobos. Décidément, chaque créature de ce monde avait un nom particulier ; il allait falloir s’en rappeler. La voix du chef se faisait plus agressive. Il reprenait de moins en moins son souffle entre chaque groupe de mots : à ce rythme, la cadence de ses paroles serait similaire à celle d’un être humain. Tatsuki ne voulait pas en rester là et s’aventura à poser d’autres questions. Elle devait gagner du temps. Malheureusement, la voix accompagnant ses maux de tête résonna une nouvelle fois à travers ses pensées.

- Tu dois t’enfuir… Tu vas y laisser la vie…
- Allez-vous-en ! cria-t-elle, à haute voix.

Les loups la regardèrent, intrigués. Ils la pensaient devenue folle. L’un des Lobos, en retrait, semblait avoir du mal à se retenir de lui sauter dessus. Ses veines ressortaient sur son cou et sa gueule, témoignant d’un gros effort de contenance. Sa langue jouait avec ses babines dégoulinantes d’écume. Il était un peu plus petit que les autres, et par conséquent, sans doute plus jeune, moins expérimenté. Il grognait, arrachant des lambeaux de terre avec ses énormes griffes. C’en était trop pour lui, la faim dominait sa raison. Il n’en pouvait plus. Ses pulsions étaient trop fortes. L’ordre de l’Alpha ne signifiait plus rien. Il voulait attaquer. Il devait attaquer. Maintenant. Il s’élança d’un seul bond, passant à côté de son supérieur, montrant les crocs, et se jetant sur la jeune femme, qui ne put s’empêcher de pousser un cri.

La bête accompagnant l’homme galopant dans la forêt s’arrêta d’un coup. Il fit de même, ne comprenant pas.

- Balga, qu’est-ce que tu as ? Nous devons faire vite.
- Taku, je l’ai senti. Ça y est. Il est de retour.
- Quoi ? En es-tu sûr ?
- Oui. Cette fois c’est certain.
- Dans ce cas, il n’y a pas de temps à perdre.

Ils repartirent de plus belle.

Du blanc. De la lumière. Et rien d’autre. Était-elle morte ? Elle ne savait pas trop. Tout était flou. C’était comme si elle était seule dans une grande salle vide. Puis tout commença à devenir plus net, dans un flot de couleurs dorées. Le loup l’ayant attaqué était stoppé dans le vide. Les autres ne bougeaient pas non plus. Les gouttes de pluie ne tombaient plus. Elle comprit enfin : le temps s’était arrêté. Elle seule n’était pas affectée. Elle ne comprenait pas ce qu’il se passait. Puis l’étrange voix résonna une nouvelle fois.

- Tatsuki…
- Encore vous ?! Montrez-vous à la fin, j’en ai assez !
- Ne t’inquiète pas… Tu vas comprendre…
- Comprendre quoi ? Je ne comprends rien ! répondit-elle, agacée. Et sachez qu’il est frustrant de parler à un inconnu ! Je veux savoir à qui je parle !
- En es-tu sûre ?...
- J’en suis certaine.
- Dans ce cas… Tu devras faire face… A… Ton destin…
- Comment ça ? Expliquez-v… Eh !

Elle ne put finir sa phrase. Une boule de lumière blanche aveuglante se forma devant elle, l’obligeant à se protéger le visage. La sphère grandissait jusqu’à devenir immense. Puis elle commença à prendre forme, à s’étirer en longueur, à se creuser. Une tête apparut, suivit d’un long corps robuste à quatre puissantes pattes, et de deux ailes assez conséquentes. De longues épines surmontaient l’échine dorsale. Son dos se terminait par une longue queue pointue. Deux cornes trônaient sur le haut de son crâne ; une troisième plus petite incrustée sur la pointe de son museau. La sphère lumineuse s’estompa, révélant la créature sous sa vraie nature. D’une couleur blanche, l’animal vira dans les tons mauves. De grandes écailles prune jonchaient son corps imposant, d’autres plus claires son poitrail et son ventre. Des reflets bleus jouaient avec la lumière ambiante. Une membrane lilas reliait chaque épine dorsale, et recouvrait l’intérieur des immenses ailes. Les griffes terminant ses énormes pattes étaient d’un noir ébène. De nombreuses petites dents pointues et crayeuses couraient le long de sa gueule entrouverte. Tatsuki était bouche bée devant le charisme de la créature : un magnifique dragon améthyste. Son regard l’était encore plus : de fins iris orangés aux éclats pourpres entouraient une pupille mince et délicate, aussi sombre que la nuit.
Les deux êtres ne se quittaient pas des yeux. Lui n’affichait aucune expression particulière ; elle, semblait à la fois apeurée et sous le charme. Tatsuki en oublia presque la façon dont on s’y prenait pour parler. Hébétée, elle s’en souvint néanmoins et s’adressa timidement au dragon.

- Qui… Qui êtes-vous ?
- Quelqu’un que tu as déjà rencontré, répondit-il d’un ton solennel.
- Comment ça ? Si j’avais déjà vu pareille créature, je m’en serais souvenu !
- Et c’est pourtant le cas. Réfléchis bien… Mon apparence, ma voix ; es-tu certaine que tout cela ne t’évoque rien ?

Intriguée, la jeune femme se tut et médita quelques instants. Le dragon venait de marquer un point concernant sa voix : elle l’avait, effectivement, déjà perçue. Elle en tira quelques conclusions grâce à cela.

- Attendez… C’est vous que j’entendais à chacun de mes maux de tête, n’est-ce pas ?
- Oui, c’était bien moi.
- Pourquoi m’appeliez-vous ? Depuis que je suis arrivée dans ce monde, je m’étais faite à l’idée que c’était Chika qui me parlait, où quelqu’un lui étant lié ! s’énerva-t-elle.
- Je faisais cela dans le but de te protéger. N’as-tu donc pas remarqué qu’à chaque fois que tu étais en danger, ma voix te parvenait ?
- Me protéger, me protéger, je ne vous ai entendu que quelques fois, et pas avant que je tombe du vieux chêne ! C’est vrai que j’avais des maux de tête depuis un long moment, mais…
- C’était plus ou moins lié. Ces douleurs se justifiaient par le fait que ton éveil approchait à grand pas. Et ce n’est que lorsqu’il a commencé que j’ai pu communiquer avec toi, déclara le dragon d’un ton très calme.
- Un éveil hein… Et puis, éveil de quoi, d’abord ? Je n’y comprends rien, et puis… Oh !

Elle s’arrêta d’un seul coup, une nouvelle fois. Elle remarqua autre chose. De plus… important. Elle comprit enfin que la colère l’aveuglait inutilement. Le dragon qui se dressait devant elle ressemblait étrangement à celui dont elle avait rêvé en cours, et qu’elle avait par la suite dessiné. Oui. C’était bien lui. Cela ne faisait aucun doute. Ravalant sa salive, elle reprit la parole, la voix tremblante.

- Quel… Quel est votre nom ?…
- Tu connais la réponse, Tatsuki.
- Dites-le-moi, je vous en prie…
- Je me nomme Magnus, l’esprit de la glace. Je suis lié à toi depuis fort longtemps déjà…
- Esprit de la glace ? Lié à moi ? Attendez, vous allez trop vite ! Je ne comprends pas… Non, ce n’est…
- Je suis l’une des huit chimères gardiennes, veillant sur le fragile équilibre d’Omowaku, et je possède le pouvoir de contrôler la glace. Et toi, tu es celle sans qui je ne peux pas vivre. Tu es…
- Non…
- Mon invocatrice.
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Angie
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Âme de glace


« Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. »
Bertolt Brecht


Un silence de mort était survenu après l’étrange révélation. Seules les palpitations du cœur angoissé de Tatsuki résonnaient dans ce calme infernal. Elle avait blêmi d’un seul coup et était tombée à genoux dans le sol boueux. En plus d’une grande peur, son regard exprimait un refus catégorique à ce que venait de dire le dragon. Comment pouvait-elle être mêlée à tout ça ? C’était… Improbable. Non, impossible. Jamais encore elle n’avait mis les pieds dans ce monde, jamais elle n’avait vu ces gens et ces créatures auparavant, jamais elle n’avait entendu de telles histoires. Malgré tout, comme le dit si bien l’expression : « Il ne faut jamais dire : fontaine, je ne boirai pas de ton eau ». Certains points dans toute cette histoire restaient confus aux yeux de la jeune femme. Elle ne croyait pas aux coïncidences, et elle en était affublée depuis vingt-quatre heures. Que devait-elle faire ? Elle était complètement désarçonnée.
Le silence fut rompu par Magnus qui, voyant qu’elle restait plantée bouche bée, reprit la parole, tentant de se justifier.

- Je sais que ce que je viens de te dire est assez troublant, mais c’est pourtant la vérité.
- Je… Écoutez, vous… C’est…
- Peu concevable ?
- Oui ! Comment expliquer ? Je n’ai encore jamais cru à tout ce qui était paranormal, monde parallèle, science-fiction ou autre ; et là, je m’y retrouve mêlée plus ou moins de force. Avouez que c’est plutôt déconcertant !
- Je le conçois, ne t’inquiète pas. Mais n’oublie pas que tu as aussi accordé un peu d’importance aux dessins que tu as faits en cours, suite à ton rêve. Tu y as cru, même si ce n’était que l’espace d’un instant. N’est-ce donc pas là le plus important ?

Elle ne disait plus rien. Il n’avait pas tort d’un certain côté. Avant son arrivée sur Omowaku, elle faisait souvent un rêve, le même rêve, concernant un monde dont la beauté était sans nulle pareille. Un monde où chaque être était accepté, sans être jugé sur ce qu’il était. Un monde avec des créatures toujours plus fantastiques, des êtres encore jamais vus. Un monde dans lequel elle désirait vivre. C’était son secret, mais jamais elle n’aurait pu penser que tout cela deviendrait vrai un jour. C’est ce qu’elle était pourtant en train de vivre. Alors après tout, pourquoi pas ? C’est ce qu’elle avait toujours souhaité : changer de vie.

- Alors je serais vraiment…
- Oui. Tu es celle veillant sur les glaces éternelles grâce à mon aide, celle aux côtés de qui je combattrai le mal ayant pris possession de ces terres. Tu es l’une des élus.

Elle n’en revenait pas. Tout ce qu’avait raconté Taku était donc vrai ? Ce n’est pas comme si elle n’y avait jamais cru mais, au fond d’elle, elle restait méfiante et faisait la part des choses. Tout se bousculait dans sa tête, et elle allait devoir accepter la réalité : elle était des leurs.

- Mais, Magnus, si… Si je suis vraiment une invocatrice, qu’est-ce que je dois faire ? Je n’ai aucune idée de ma place, du rôle que j’ai à jouer !
- Je t’expliquerai en temps voulu, ne t’inquiète pas. Tu auras également l’aide de tes amis.
- Taku et Chika ? demanda la jeune femme d’un air intrigué.
- Oui. Ils sont tous les deux plus ou moins liés à toi aussi. Tu comprendras très bientôt pourquoi.
- Je vous avoue que je suis un peu perdue pour le moment !
- S’il te plait, en tant qu’invocatrice et qu’amie, j’aimerais que tu me tutoies, ce serait beaucoup moins formel, et tu n’en serais que plus à l’aise. Pour l’heure, tu as un sérieux problème à régler.
- Les Lobos, n’est-ce pas ?
- Oui. Un dangereux combat t’attend, lorsque j’aurai cessé d’arrêter le temps. Je n’ai plus beaucoup de temps, alors écoute-moi attentivement, je vais t’expliquer… comment recourir à ton arme.

Les choses se précipitaient au fil des secondes. Magnus dévoilait une quantité folle d’informations, toutes étant importantes. La jeune femme ne cherchait même plus à se méfier, elle n’avait qu’un seul objectif pour le moment : se sortir du pétrin dans lequel elle s’était mise en s’enfuyant de chez Chika.

- Chaque invocateur possède une arme qui lui est propre, commença Magnus. Cette arme est, elle aussi, liée à son possesseur, et il est impossible de s’en défaire. Il s’agit, en plus, d’une arme magique, pouvant donc être combinée à certains sortilèges. Mais pour le moment, tu n’en es pas capable.
- C’est sûr ! Alors, où se trouve cette arme ?
- Tu dois, elle aussi, l’invoquer. Elle est liée à toi en quelque sorte.
- Décidément, vous aimez tout ce qui est invocation dans ce monde, lança-t-elle en riant.
- Ce n’est pas faux, répondit-il en souriant. Maintenant, regarde la paume de ta main gauche.
- Pourquoi ça ?
- Fais-le.

Elle s’exécuta, perplexe. Une étrange tâche en forme de Lune était incrustée dans sa peau. Elle ne l’avait pas auparavant. Les questions se pressèrent dans sa tête.

- Qu’est-ce que c’est que ça ?
- Cette marque témoigne de ton statut d’invocatrice. Elle est apparue au moment où ton éveil fut total, c'est-à-dire au moment où je me suis montré à toi. C’est de cet endroit que surgira ton arme.
- Mon arme ? Tu veux dire que…
- Répète ces paroles après moi :


Âme de glace en mon cœur,
Epée emplie de froideur,
Honore le pacte nous liant,
Je t’invoque ici-bas en mon nom.


La jeune femme, hésitante, scanda les vers prononcés par la Chimère. Sur le coup, rien ne se produisit, mais la marque incrustée dans sa chair, jusqu’alors d’une couleur brune, vira dans les tons rouges. Elle devint également très douloureuse, obligeant la jeune femme à lâcher un cri et à tendre le bras en avant. Puis soudainement, elle tourna au blanc tout en émettant une sorte de lumière de couleur similaire. La souffrance s’intensifiait jusqu’à disparaître complètement d’un seul coup. Une lame sembla surgir de la main de jeune femme. Oui, c’était bien une arme qui naissait de sa chair sous ses yeux. Complètement sortie, les éclats blanchâtres s’estompèrent jusqu’à ne plus être visibles.
Tatsuki tenait dans ses mains une longue épée(1) , à la lame argentée, reflétant des lueurs mauves. La poignée était plutôt détaillée et dans les tons d’un violet prononcé. Le pommeau était fait de deux cônes aux facettes arrondies, taillés dans de l’onyx. Il était accroché à la fusée par un petit alliage. Cette dernière était assez longue, enroulée de soie lilas et se terminait par une sphère où trônait une améthyste de forme ovale. Un fin ruban d’argent y était fixé, courbant au vent. La garde l’épousait parfaitement, dotée de deux quillons en forme d’ailes de dragon, de couleur prune. Des cristaux de quartz étaient incrustés à leurs extrémités. Venait ensuite la chape, une pièce en cuir noir de forme triangulaire, créant une forme de V avec le bas de la garde où elle était attachée. Les bords de la lame formaient deux creux consécutifs, s'inversant au niveau de la pointe.
L’épée était magnifique, la jeune femme en restait abasourdie. Jamais elle n’aurait pu se douter qu’une chose aussi extraordinaire était enfouie en elle. Cette fois, elle ne pouvait que croire aux dires du dragon : la douleur avait été trop grande pour n’être là qu’un simple rêve. Magnus reprit la parole.

- Cette arme se nomme Âme de glace. Elle est née de ce que tu es, elle a été conçue à ton image.
- Elle est… Sublime. Dis-moi Magnus, je devrais réciter cette incantation à chaque fois que j’aurai besoin de cette épée ?
- Oui. Néanmoins, tu n’éprouveras plus les mêmes douleurs les fois suivantes. Ce fut le cas pour cette fois car ton arme n’avait pas encore été créée, à proprement parler.
- Je vois, c’est un peu plus clair. Ah oui, et si j’ai besoin de toi, comment dois-je faire pour…
- Pour m’avoir à tes côtés ? Tu n’auras qu’à m’appeler tout simplement. Je suis constamment avec toi, ne l’oublie pas ; je suis présent dans ton cœur.
- Ah oui, c’est cette histoire de Pierre Chimérique, n’est-ce pas ?
- Oui. Par contre, je suis désolé, mais le temps m’est compté. Si je maintiens le temps arrêté ainsi encore trop longtemps, je n’aurai plus assez de force pour pouvoir te protéger durant le combat qui t’attend.
- Attends, tu veux dire que je vais vraiment devoir me battre contre cette meute de loups ?! Mais je ne sais pas me battre ! Je vais me faire massacrer !
- Tu ne seras pas seule, je serai là, et lui aussi t’aidera…
- Magnus, attends !

Elle n’eut le temps de finir sa phrase. La couleur sépia du paysage figé s’estompa. Les gouttes de pluie recommencèrent à s’écraser au sol et sur le visage de la jeune femme. Le Lobos attaquant reprenait vie lui aussi, Tatsuki pouvait voir ses paupières s’agiter quand bien même le reste de son corps était encore immobile.

- Tiens-toi prête, lança Magnus, aux côtés de son invocatrice. Lorsque le temps ne sera plus arrêté, j’éliminerai ton adversaire, mais tu devras te charger des autres.
- Euh… D’accord, mais je ne sais pas me battre !
- Aie confiance en moi.

Le dragon se plaça rapidement devant la jeune femme ; le temps reprit son cours au même moment. L’immense loup plein de haine se jetant sur elle reprit d’un coup sa course folle, mais s’écrasa contre Magnus. Ce dernier s’était interposé, et la violence du choc n’avait pas laissé l’animal velu indemne. Les écailles du dragon, bien que magnifiques, étaient tranchantes. Résultat de cela, elles avaient lacéré la peau de la bête sauvage et quelques gouttes de sang se mêlaient à la pluie, dans les flaques boueuses. Le loup grogna, ne manquant pas de montrer ses crocs pleins de bave. Le chef de meute le rappela à l’ordre, ses yeux fourbes et sanguinaires témoignant d’un mécontentement sans précédent. Le Lobos, se ravisant, regagna sa place, près de Borgas.

- Imbécile ! De quel droit n’as-tu donc tenu compte de mes ordres ? Je n’aime pas ce genre d’attitude casse-cou.

Le loup se contenta de lui répondre en grognant, baissant la tête et fuyant du regard son interlocuteur. Il savait qu’en ayant désobéi, il s’était condamné. Mais la faim avait pris possession de lui, et ses pulsions étaient devenues incontrôlables. Il faut dire que les Lobos n’avaient que peu de considération auprès de leurs supérieurs : ils ne jouaient qu’un rôle de pions, devant obéir, quoi qu’il leur en coûte. Ils ne mangeaient que très peu, et n’avaient que peu de liberté. Borgas aboya au reste de la meute de se tenir tranquille, de ne pas intervenir dans ce qu’il comptait faire. Ses deux compères, Mynos et Rymos, crocs dehors et sabres fermement empoignés, veillèrent à ce qu’aucun d’entre eux ne se substitue aux ordres. L’Alpha se dressa face au renégat, imposant et puissant, mais rangea son arme. La colère avait forgé des traits agressifs sur son visage, le tendant au maximum.

- Tu sais ce qui t’attend à présent. Et j’espère que cela servira d’exemple à quiconque enfreindra mes ordres ! lança-t-il aux autres.

D’un coup rapide et précis, il fondit sur le loup fautif, gueule ouverte et remplie de crocs aussi tranchants qu’une lame. Sa mâchoire se referma lentement sur la nuque de la victime, lui brisant les vertèbres une à une. Un fin filet sanguin coulait de part et d’autre de sa toison détrempée. Les yeux jaunes du Lobos perdirent peu à peu de leur éclat, la vie les habitant s’en dérobant. Le poids de son corps imposant devenait trop lourd pour ses pattes, le faisant choir au sol. Un dernier battement de cœur. Et puis plus rien.
Tous étaient horrifiés de la barbarie de Borgas. La jouissance d’être l’Alpha lui donnait mainmise sur le droit de vie ou de mort de sa meute. Il les méprisait et n’était animé que par la soif de pouvoir, de réussite, et surtout d’être considéré comme étant le meilleur. Qu’importe les sacrifices, il devait réussir la mission qui lui avait été confiée. Tatsuki, tenant fermement son épée de ses deux mains, ne pouvait s’empêcher de trembler. Elle allait devoir affronter les trois loups bipèdes tandis que Magnus se chargerait du reste des loups, ou du moins de ceux qui n’auraient pas encore fuit. Borgas lâcha sa proie inanimée, et se tourna lentement vers la jeune femme et sa Chimère.

- Vas-tu reconsidérer ma requête à présent ? Tu as vu de quoi j’étais capable, et je n’hésiterai pas à faire de même avec toi, lâcha le chef de meute, d’une voix complètement fluide.
- Jamais… Jamais je n’obtempérerai avec quelqu’un comme vous ! répondit-elle, peu confiante.
- Mon invocatrice saura vous défaire, misérables créatures, renchérit Magnus.
- Ah oui ? C’est ce que nous verrons alors. Vous venez de faire votre choix, et, dans ce cas, vous allez… périr.

Borgas dégaina son épée, imité par ses deux compagnons. Ils s’avancèrent d’un pas ferme et décidé vers Tatsuki, qui tentait désespérément de retrouver son calme, sans grand succès. Les loups en retrait étaient en position d’attaque, prêts à bondir lorsqu’ils y seraient autorisés ; Magnus en faisait de même pour porter secours à son Invocatrice en cas de besoin. Les trois émissaires accélérèrent leur cadence, se rapprochant dangereusement. La pluie ne s’affaiblissait pas, et un nouvel éclair trancha le ciel ténébreux, accompagné d’un roulement de tonnerre. Un nouvel orage se présenta, comme pour assister à la féroce bataille qui se présentait. Un autre éclair fendit l’obscurité. Un nouveau claquement. Puis, tout autre chose : un rugissement énorme.

- Qu’est-ce que ce que c’est encore ? aboya Borgas.
- Une équipe de vainqueurs qui vous anéantira ! répondit une voix bien connue des oreilles de la jeune femme, sur un ton confiant.

Taku venait d’arriver, haletant, accompagné de la créature qui avait galopé avec lui à travers la forêt. Tatsuki n’en revenait pas : le jeune homme se trouvait aux côtés d’un immense tigre, tout aussi grand que Magnus. Son pelage blanc laissait quelques reflets rougeâtres courir, telles des flammes ardentes cavalant çà et là. Les poils devançant ses immenses pattes étaient, quant à eux, plutôt roux. De puissantes griffes luisantes et aussi sombres que la nuit les terminaient. Les rayures arborant tout son corps étaient, elles aussi, d’un noir profond, tout en virant dans les rouges bordeaux suivant les endroits. La toison de son museau se terminait dans des tons orangés, et sa gueule était remplie de longs crocs laiteux. Ses yeux flamboyant semblaient tel un feu incandescent, et laissaient deviner toute la puissance de l’animal.
Le jeune homme s’adressa à Tatsuki d’où il était, un peu surpris de voir Magnus.

- Je t’ai enfin retrouvée, gamine ! Ca fait plaisir de voir que tu es encore entière. La prochaine fois, peut-être que tu seras un peu moins immature et que tu réfléchiras à deux fois avant de t’enfuir !
- Taku, ce n’est pas le moment, je t’en prie ! Je suis dans un pétrin insurmontable !
- Ne t’inquiète pas, ça va aller. Ces demi-portions ne feront pas le poids face à nous quatre. Ah oui, à ce propos, je te présente Balga, ma Chimère.
- Ta… Chimère ? Attends, tu veux dire que toi aussi, tu es…
- Cœur de braise, viens à moi ! prononça distinctement Taku, coupant la parole à la jeune femme.

Comme pour Tatsuki, une lueur blanchâtre émana des mains du jeune homme, et deux sabres identiques en sortirent. Il les empoigna férocement. Le manche des armes était forgé dans un métal rouge foncé. Le pommeau était sculpté en forme de tête de tigre, et deux rubis étaient incrustés au niveau des yeux. La lame, recourbée et très large, s'élargissait fortement au niveau de l’extrémité. Elle semblait en argent, et de petites runes étaient gravées en son centre. Taku affichait un air à la fois rassuré et sûr de lui.

- Qui es-tu, gamin ?! s’exclama Borgas, hors de lui. Ne viens pas nous déranger dans un moment aussi crucial !
- Quelqu’un qui vous donnera du fil à retordre, croyez-moi ! Je suis l’héritier du clan des gardiens du Feu, dernier représentant de ma famille. Mon nom est Taku, et Balga est ma Chimère.
- Taku ? Je vois oui, un Invocateur… Dans ce cas, nous pourrions faire d’une pierre deux coups.
- Attends Borgas, rappelle-toi ce que le maître a dit ! intervint Mynos, mal à l’aise. Nous… Nous ne devons pas nous occuper de lui pour le moment, seule la fille est…
- Je sais, alors tais-toi ! aboya son supérieur en se tournant vers lui, crocs menaçants. Toi et Rymos, vous vous occuperez de ce prétentieux. Moi, je me chargerai de la fille. Je n’aime pas quand on ne m’obéit pas, et elle ne l’a pas fait…

Les trois loups bipèdes regardèrent leurs adversaires, un sourire en coin. Taku avait rejoint Tatsuki, Balga sur ses pas. La jeune femme aux cheveux mauves était perdue. Elle n’aurait jamais pensé qu’il faisait partie de cette petite communauté que représentaient les Invocateurs.

- Taku, je euh… Je suis… commença-t-elle, bégayant.
- Tu es désolée ? Ne t’inquiète pas, c’est oublié, mais la prochaine fois, tâche de ne pas être aussi suspicieuse, ça peut s’avérer blessant.
- Excuse-moi…
- Eh ! Je t’ai dit que ça allait, d’accord ? Puis ce n’est pas vraiment le moment d’avoir des remords, tu as autre chose à faire.
- Il a raison, continua Magnus. Balga et moi, nous nous chargerons des Lobos. Et toi, Tatsuki, tu devras te battre. Tu y arriveras, j’ai confiance en toi.
- Mais je ne sais même pas comment manier ce… Cette… Chose ! Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse, hein ?
- C’est une épée, pas une chose. Et puis, tu n'auras qu'à l'agiter dans tous les sens, ça suffira amplement, lâcha Taku, taquin.
- Arrête un peu de te moquer de moi, ce n’est pas drôle. Et puis… Ahhh !

Leur attention avait été relâchée à cause de cette petite dispute. Leurs ennemis en avaient profité pour lancer l’assaut, au même moment qu’un nouveau coup de tonnerre éclata. Borgas arrivait rapidement sur la jeune femme, sabre prêt à frapper. Rymos et Mynos en avaient fait de même, se ruant contre Taku. Ce dernier s’élança d’un seul bond et para les deux attaques de ses deux sabres. Le choc des armes laissa s’échapper un bruit lourd de métal fracassé. Tatsuki avait eu le réflexe de mettre son épée devant son visage pour se protéger, ce qui lui permit d’esquiver l’attaque de l’Alpha. Les deux lames restaient croisées, aucun des deux ne voulant céder. La jeune femme tenait bon : si elle lâchait, c’en était fini pour elle. Finalement, Borgas relâcha la joute et fit un petit bond en arrière pour lancer une nouvelle offensive. Taku en profita pour donner quelques conseils furtivement.

- Fais attention Tatsuki, commença le jeune homme. Ce ne sont pas des Lobos mais des Hornwolfs ; ils sont beaucoup plus dangereux et plus puissants. Ne te contente pas d’esquiver, tu dois aussi le frapper.
- Facile à dire, toi tu sais te battre, pas moi !
- Je t’ai… Je t’ai déjà dit d’agiter ton épée, ça suffisait ! s’exclama-t-il, repoussant une nouvelle attaque.

Magnus et Balga se chargeaient des Lobos en retrait, qui tenaient leur position, d’une manière rapide et efficace. Plusieurs d’entre eux avaient préféré fuir ; les autres avaient trop peur de désobéir. Borgas s’était rué une nouvelle fois sur la jeune femme qui, cette fois, donna un coup d’épée au hasard lorsqu’il fut assez près d’elle. Ce fut efficace : l’immense Hornwolf venait de recevoir une entaille au niveau d’une de ses pattes poilues. Il grimaça, fou de rage. L’orage, quant à lui, ne faiblissait pas.

- Petite insolente ! Comment as-tu osé infliger telle blessure à l’illustre guerrier que je suis ? Ne pense pas t’en tirer à si bon compte !

La blessure n’était que minime : une petite coupure s’était logée entre ses poils détrempés, et un fin filet rouge s’en dégageait. Ahurie, Tatsuki ne bougeait plus, cible facile à présent pour son adversaire. Un nouvel éclair arpenta le voile nuageux dans un grand fracas. Borgas prit un peu d’élan et bondit sur la jeune femme en proie à la panique, sabre en avant. Le grand dragon mauve eut tout juste le temps de s’interposer, arrêtant l’attaque in extremis en repoussant une nouvelle fois l’assaillant. Voyant qu’il s’apprêtait à recommencer, Tatsuki recommença à agiter son arme en tout sens, fermant les yeux. Bruit de chair entamée. Lorsque ses paupières se rouvrirent, Taku était devant elle, de dos, son sabre gauche interférant avec celui de l’Alpha. Âme de glace s’était logée sur l’épaule droite du jeune homme. Horrifiée, la jeune Invocatrice la lâche. L’épée tomba au sol ; les gouttes de pluie résonnèrent de multiples sons sur le métal. Les deux sabres étaient toujours croisés, et aucun des deux n’était prêt à lâcher.

- Pou… Pourquoi ?! s’exclama-t-elle, paniquée.
- Tu ne… Sais pas te battre. Et tu… Il ne faut pas que tu te fasses tuer ! répondit l’intéressé, agressif.
- Je ne veux pas que tu te fasses blesser par ma faute !
- C’est déjà le cas, mais ne t’inquiète pas, je ne t’en tiendrai pas rigueur. Après tout, c’était peut-être… Trop t’en demander.
- Taku… Arrête, s’il te plait.
- Jamais. Ce serait faire déshonneur à ce que je suis ; un Lyvenn n’abandonne jamais… Nous sommes de fiers guerriers, et dans notre sang coule celui des héros passés de notre peuple. Oui… Je le vaincrai, finit-il par marmonner, sourire aux lèvres.
- Qu’as-tu dit, petit arrogant ?! aboya Borgas, forçant davantage sur son arme.
- J’ai dit que… Je te… Vaincrai !!

Taku donna un à-coup qui força les deux armes à se séparer brutalement. Il poussa Tatsuki en arrière et la rassura, lui disant que tout irait bien. Un long feulement s’extirpa de sa gorge, et son apparence commença à changer. Ses yeux rouges virèrent au jaune incandescent, ses pupilles devinrent aussi fines que celles d’un chat en plein soleil. Des rayures noires naquirent sur sa peau brunie, comme celles des grands félins. Ses ongles poussèrent jusqu’à former des griffes tranchantes, et ses canines eurent elles aussi une poussée de croissance. Il venait de dévoiler sa véritable apparence : voilà à quoi ressemblait un homme tigre, un vrai guerrier, un Lyvenn.
Borgas, aussi fier pouvait-il être, en fut estomaqué, comprenant qu’il serait beaucoup plus difficile à vaincre désormais. Rymos et Mynos se regardèrent subitement, semblant se mettre d’accord sur quelque chose. Après un grognement de leur part, ils se séparèrent de leurs armes et s’enfuirent dans la forêt, la queue entre les jambes. De toute évidence, ils ne souhaitaient pas se faire massacrer par un tel colosse. Le reste des Lobos encore en vie en fit de même. Il ne restait que Borgas sur le champ de bataille. Borgas, des cadavres de Lobos défaits de toute étincelle de vie, et Taku. Les deux chimères s’étaient mises en retrait, près de Tatsuki qui semblait épuisée.

- Quelle bande de lâches ! hurla l’Alpha, perdant son sang-froid. Je les massacrerai tous jusqu’au dernier quand j’en aurai fini avec vous !
- Tu es décidément bien stupide pour un chef de meute. N’as-tu donc pas encore compris qu’ils ont opté pour la bonne solution ? Pour la vie ? Tu n’as aucune chance contre moi, ma force a décuplé depuis tout à l’heure.
- J’en doute, vois-tu. Les humains sont décidément des êtres inférieurs, démesurés de tout ego et vraiment faibles. C’en est affligeant.
- Je ne suis pas qu’humain, je suis à moitié Lyvenn.
- C’est du pareil au même, je ne ferai qu’une seule bouchée de toi.
- Réglons ça en duel, alors.
- Très bonne idée, héhéhé…

Les deux ennemis s’avancèrent et se placèrent à une bonne distance l’un de l’autre. La scène ressemblait à l’un de ces règlements de compte comme on en voyait au temps du Far-West. Sauf qu’ici, l’enjeu était bien plus important. Ils passèrent à l’attaque lorsque l’orage se fit entendre une nouvelle fois, illuminant la scène de l’un de ses rayons blanchâtres. Chargeant l’un sur l’autre avec haine et violence, ils laissaient présager qu’un seul des deux ressortirait vivant de cet affrontement. Taku n’avait qu’un seul de ses sabres en main et ne semblait plus vraiment affecté par la blessure que lui avait infligée Tatsuki involontairement. Borgas avait gardé la même arme depuis le début de la bataille. Les lames se croisèrent dans un bruit lourd, se mêlant au tintement des perles cristallines. Les coups s’enchaînaient à une vitesse phénoménale. Aucun des deux ne relâchait la tension et le rythme ne baissait pas au fil des secondes. Chacun d’eux savait que le premier à commettre une erreur y laisserait la vie ; du coup, ils se démenaient autant que possible.

- J’admets que tu ne te débrouilles pas si mal, gamin, lança Borgas, donnant des coups toujours aussi rapides. Mais ce n’est pas comme ça que tu parviendras à me vaincre.
- Toi, tu es lent, peu coordonné et tes mouvements sont grossiers.
- Ah ! Tu es drôlement arrogant, un peu trop même ! Ne sois pas si sûr de toi, je te réserve de petites choses auxquelles tu ne penses même pas.
- J’attends de voir ça !

Le grand Hornwolf attendit le moment opportun et s’empara de l’un des sabres de ses deux ex-acolytes. Il pensait sans doute surprendre Taku, mais ce dernier n’en fut pas spécialement déstabilisé. Bien au contraire, il avait senti venir la feinte de son adversaire et avait prévu de la contrer. Ce combat durait depuis trop de temps et malgré sa force imposante, le jeune homme commençait à fatiguer. Une Chimère invoquée consommait une partie de l’énergie de son hôte, et il en ressentait peu à peu les effets. Lorsque Borgas fut assez près, le Lyvenn se baissa rapidement et lui assena un violent coup de sabre sur le ventre. L’animal s’effondra d’un coup, grièvement blessé : l’entaille était profonde et il perdait beaucoup de sang. Furieux, il se releva néanmoins et, dans une ultime tentative, se jeta sur Taku. Le jeune homme, arme en avant, le transperça avec violence. La pointe du sabre n’eut aucun mal à se faufiler à travers les chairs et à ressortir par le dos touffu et grisâtre de l’animal. Borgas tomba à genoux, lâchant son sabre et posant une main sur la blessure fatale.

- Je… C’est… Impossible… Je ne peux pas… Perdre… Pas comme ça …!
- Tu n’aurais pas dû me sous-estimer.
- Sois maudit… Au fond, tu es… Bien comme nous autres… Tu n’es… qu’un… animal…
- Et toi, tu n’es plus rien.
- Pardonnez-moi, maître… Akira, lâcha-t-il, rendant un dernier soupir.
- Akira ?! répéta le jeune homme, devenant subitement pâle.

L’Alpha chuta au sol, absent d’une quelconque étincelle de vie. Taku se calma, et reprit petit à petit son apparence normale. Rengainant son sabre, il accourut vers la jeune femme. L’orage s’était calmé, s’effaçant telle une baisse de rideau après la fin d’un spectacle. La pluie cessa. A sa hauteur, il lui adressa quelques mots.

- C’est fini, Tatsuki. Ils ont perdu, ils ne sont plus.
- Taku, tu… Je suis désolée, je ne voulais pas te blesser, répondit-elle, respiration rapide.
- Cesse donc de t’en faire, je n’ai plus mal. C’est moi qui suis désolé, je n’aurais pas dû te demander de combattre alors que tu n’avais aucun entraînement à ton actif.
- Merci… D’être venu me chercher…

Il n’eut pas le temps de répondre qu’elle s’endormit, épuisée et vidée de toute énergie. La grande épée se dématérialisa. Magnus disparut, remerciant Taku. Balga en fit de même. Le jeune homme se saisit de la jeune femme dans ses bras pour la ramener chez Chika. Alors qu’il traversait tranquillement la forêt détrempée, une ombre se profilait à travers les troncs humides. Le jeune homme s’arrêta subitement, puis soupira. L’ombre lui fit volte-face.

- Toi ? Ici ? lança Taku, agacé.
- Ne crois pas que je t’espionnais, je te cherchais juste, répondit l’ombre.
- Je n’ai pas besoin de ton aide, je gère la situation.
- Pourtant, tu as été blessé.
- Qu’est-ce que tu veux Maiko ? rétorqua le jeune homme, irrité.
- La retrouver.

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Rivalité


« La présence des autres est créatrice de violence. Car les autres sont au moins deux : l'un devient rival, l'autre l'objet de la rivalité. »
Jacques Attali


Le jeune homme avait regagné la maison de Chika, Tatsuki toujours endormie dans ses bras, suivi de l’ombre qui l’avait intercepté. Il n’avait pas prononcé un mot, l’autre en ayant fait de même. L’elfe attendait leur retour sur le pallier, inquiète mais rassurée de voir que tous étaient entiers.

- Elle s’est endormie, lança Taku à la vieille femme. Cette journée aura été forte en émotion pour elle, d’autant plus avec ce qui lui est arrivé.
- Je lui avais pourtant dit que la forêt était dangereuse la nuit, mais cette épreuve lui était nécessaire. Tôt ou tard, elle aurait dû y passer.
- Oui, sans ça, elle aurait gardé pendant un long moment son mauvais caractère et … Elle ne nous aurait pas crus lorsque nous lui aurions dit ce qu’elle était.

L’ombre ne disait rien et se contentait d’écouter, les bras croisés. Chika conseilla à Taku d’aller coucher la jeune femme dans sa chambre et de continuer la discussion après. Il s’en alla donc à l’étage. L’elfe en profita pour parler à l’autre personne.

- Maiko, ça me fait plaisir de te revoir. Tu as été rapide, dis-moi. Je ne comptais sur ton retour que d’ici deux voire trois jours.
- Les choses se sont précipitées d’une manière affolante. Il devenait urgent que je te donne les informations que j’ai pu récolter.
- Est-ce si urgent ? demanda la vieille femme, soucieuse.
- Oh oui… Notre informateur a réussi à s’infiltrer dans les rangs ennemis, mais… Cela lui aura coûté la vie.

Les deux personnes allèrent s’assoir. Chika avait la mine basse. L’autre personne se dénommait Maiko. C’était une jeune fille légèrement plus grande que Tatsuki. Ses cheveux étaient longs et couleurs chocolats, tressés grossièrement en une longue natte. Un ruban violet terminait la natte imposante. Une mèche de cheveux ondulés s’abattait sur son visage, cachant de temps à autre l’un de ses yeux couleur châtaigne. Ces derniers avaient des reflets verts suivant l’éclairage. La peau de la jeune femme était basanée. Elle était habillée de façon originale : elle portait un bustier blanc, assez large sur le bas et donnant l’impression d’une chemise, surmonté d’une petite cravate noire. Concernant le bas, elle avait une jupe plissée noire. Des bottes noires avec de petits talons remontaient jusqu’à ses genoux. Elle avait une petite chaine autour du cou, avec un pendentif en forme de fée. Quelques bracelets jouaient sur son bras gauche.

- Maiko, raconte-moi s’il te plait.
- Ne vaudrait-il mieux pas attendre que Taku revienne ? Je n’ai pas spécialement envie de me répéter.
- Oui, tu as raison. A propos, j’ai senti comme un froid entre vous.
- Ce n’est rien, ne t’inquiète pas. Il me fait toujours la tête par rapport à ma victoire contre lui, avant que je ne parte.
- Quel caractère… Il ne changera jamais.
- Ça, c’est sûr ! Une vraie tête de cochon.

Pendant ce temps, le Lyvenn déposait la jeune femme dans son lit. Il n’avait pas été très délicat en la portant, n’ayant pas l’habitude de ce genre de chose, mais elle ne s’était pas réveillée pour autant. Il allait sortir quand cette dernière prononça quelques mots dans son sommeil.

- Taku… Je… Suis… Désolée…

Il la regarda en secouant la tête, et ne put s’empêcher de laisser naître un sourire. Il ferma doucement la porte et regagna le salon. Un fois en bas, il s’assit sur le canapé, aux côtés de la vieille femme.

- Bon, je suppose que vous m’attendiez ? demanda-t-il par politesse.
- Taku, j’aimerais que les choses soient claires, commença Maiko, sur la défensive. Je suis désolée si ton égo en a prit un coup, mais je n’y peux rien si je t’ai battu la dernière fois.
- Bla, bla, bla…
- Et voilà, j’en étais sûre, soupira la jeune femme.
- Tu as eu de la chance, c’est tout. La prochaine fois, tu peux compter sur moi pour te ridiculiser comme il se doit, héhé.
- Bon, lâcha Chika, agacée de cette dispute inutile. Maiko, tu as des choses à nous dire, je crois.
- Oui. Bon, je le redis pour toi, Taku, vu que tu n’étais pas là : notre informateur d’Arrakos a réussi à intégrer les rangs adverses en se faisant passer pour un ancien rebelle. Le seul problème c’est qu’il a été démasqué et…
- Il a été abattu.
- Voilà… Il a tout de même eu le temps de me céder quelques informations précieuses : nous nous dirigeons droit vers une guerre avec l’île de Tyberia…

Les visages de Chika et du Lyvenn se firent d’un coup plus sombre.

- Une guerre ? C’est impossible, nous sommes dans une période de trêve, commença l’elfe, désorientée.
- Elle a raison, rentrer en guerre reviendrait à violer le pacte de non-agression.
- C’est pourtant le cas, je vous assure. Le pire dans tout ça, c’est que ce sont les Invocateurs Fatalistes qui en sont à l’origine. Et le pacte n’aura aucune importance lorsqu’ils mettront leur plan à exécution.
- Alors ce serait pour ça que cette pourriture cherchait à enlever Tatsuki ? demanda Taku, son regard se faisant sombre.
- J’imagine. Après tout, leur but est de réunir les huit Chimères…
- Dans ce cas, nous n’avons pas de temps à perdre, rétorqua Chika, se levant. Il est crucial pour nous de retrouver l’Invocateur du Bois avant eux.
- Oui. D’ailleurs, Tatsuki tombe plutôt bien. Nous ne serons pas trop de trois, commença le jeune homme.
- Pardon … ? s’exclama la jeune femme.

Maiko se leva et regarda son ami, les sourcils froncés.

- Tu as perdu la tête ou quoi ? Elle ne sait pas se battre, pour le peu que j’ai vu ! Elle n’a réussi qu’à te blesser, et toi tu veux qu’elle vienne avec nous ?
- Je ne vois pas en quoi ça te gène.
- Je n’aime pas m’encombrer de personnes gênantes pouvant me ralentir.
- Quelle modestie. Cela te sied à ravir.
- Tu m’énerves Taku.
- Je pourrais dire la même chose te concernant.
- Allons bon, soupira Chika. Je suis fatiguée de toujours entendre des disputes, et il est tard. Je vais me coucher. Tâchez de ne pas faire trop de bruit, sinon vous aurez affaire à moi.

La vieille femme s’en alla, exaspérée. Malgré leurs disputes récurrentes, Maiko et Taku s’adoraient, mais ils avaient tendance à se chamailler pour un rien. Et cette fois-ci ne fit pas exception. Ils continuaient de plus belle.

- Et si tu lui donnais une chance ? Ça ne te coûte rien.
- Une chance ?
- Lance-lui un défi à l’épée. Par contre, si elle accepte, je me chargerai de lui apprendre les bases.
- D’accord. Après tout, cela risque d’être marrant. J’accepte, pour ma part.

Taku ne put s’empêcher de prendre son air moqueur et passa sa main sur les cheveux de Maiko pour les lui ébouriffer. Cette dernière râla tout en le menaçant, alors qu’ils montaient les escaliers pour aller se coucher à son tour. Elle ne tarda pas à suivre le mouvement.
La maison toute entière fut plongée dans les bras de Morphée. Il était très tard (ou plutôt très tôt) et la nuit avait été éprouvante pour chacun. La nature semblait elle aussi submergée par la fatigue : la tempête finie, il n’y avait plus un seul bruit. Tous attendaient les premières caresses de l’astre roi pour reprendre vie.

Un rayon de soleil frappa la maison, suivit de milliers d’autres. Le jour se levait peu à peu sur Omowaku et les nombreuses créatures y régnant sortaient de leur mutisme. L’un d’eux traversa l’entrebâillement des volets de la chambre de Tatsuki et vint caresser sa joue. Elle bougea légèrement le visage, plissant les paupières et les ouvrit délicatement ensuite. S’étirant et bâillant, elle essayait de se réveiller et de se remémorer ce qu’il s’était passé.

- Bon sang, j’ai l’impression qu’un troupeau d’éléphants m’a piétinée… J’ai un de ces maux de tête !

Elle se releva en se frottant les yeux, tâchant tant bien que mal de sortir de son état de léthargie. Elle décida d’aller manger quelque chose avant de faire un brin de toilette. De ce fait, elle descendit les escaliers mollement, ne manquant pas de tomber, tout en continuant de bâiller et se dirigea dans le salon. Trois personnes étaient assises à table : Taku, Chika, et Maiko qu’elle ne connaissait pas encore. Elle s’arrêta, pas assez réveillée et ne comprenant pas qui était cette troisième personne.

- Ah ! Tatsuki, te voilà enfin levée, lui lança Chika avec un grand sourire.
- Euh… Oui, mais je suis encore à moitié endormie…
- Viens manger quelque chose, ça te fera du bien, lui dit Taku.
- Euh… D’accord…

Elle les rejoignit, trainant des pieds. Ses cheveux étaient ébouriffés et de petites poches avaient pris forme sous ses yeux. Bâillant une nouvelle fois, elle se tourna vers Maiko et la fixa, les yeux à moitié ouverts. Elle ne dit cependant rien, ce qui agaça quelque peu cette dernière.

- Tu veux ma photo ? répliqua-t-elle sèchement.
- Hein … ?
- Allons, Maiko, laisse-lui le temps d’émerger, lança la vieille femme. En plus, elle ne te connait pas.
- Désolée. Je m’appelle donc Maiko…

La jeune femme était glaciale avec Tatsuki. Elle n’en dit pas plus et sortit de table, portant ses affaires dans la cuisine. Taku soupira longuement, alors que Tatsuki ne saisissait pas tout à la situation.

- Je lui ai fait quoi au juste … ? demanda-t-elle d’un air dubitatif.
- Oh, ne fais pas attention. Elle n’est pas de bonne humeur depuis hier, lui répondit le jeune homme.
- Du coup je ne sais toujours pas qui elle est.
- Tu le découvriras bien assez tôt ! Bon allez, il faut que tu manges. Une dure journée t’attend.
- Comment ça ?
- Tu verras bien, petite ventre à pattes.
- Arrête de m’appeler comme ça !

Aussitôt levée, aussitôt les chamailleries reprenaient. Taku continuait de l’embêter alors que la jeune femme prenait un copieux petit déjeuné : bol de lait, tranches de pain et confiture de fruits rouges, le tout accompagné d’un grand jus d’orange. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas autant mangé le matin. Il faut dire que la nourriture du self donnait l’impression de manger du carton-pâte, saupoudré de quelques cuillères de plâtre (alors qu’il ne s’agissait que de céréales et de cacao). Une fois rassasiée, elle débarrassa et Chika lui montra où était la salle de bain. Une bonne douche ne lui ferait que du bien. La jeune femme retourna dans sa chambre, attrapa quelques affaires et retourna dans la salle d’eau.
La pièce semblait immense : une baignoire était accolée au mur sur la gauche. Dans le coin de la pièce, sur le même côté, une cabine de douche siégeait. Sur le mur d’en face, un large miroir dominait de petits meubles de rangement, l’un d’eux possédant un évier. Dans le coin à droite de la porte, des toilettes.

- J’ai une mine affreuse, se lança-t-elle tout en se regardant dans la glace. Bon allez, à la douche. Au moins ça va me réveiller.

A choisir entre une douche et un bon bain chaud, elle opta sans trop d’hésitation pour le second choix. Après avoir fait couler l’eau, elle se dévêtit, posa ses vêtements sales sur l’un des plans de travail et entra dans la baignoire. La chaleur n’eut pas vraiment l’effet escomptée : la jeune femme s’étira et se laissa entraîner dans un tourbillon de pensées.

- Maiko… Cette fille a l’air étrange. Je n’ai pas trop compris ce qu’il s’est passé mais elle semble en avoir après moi. Je me demande bien pourquoi…

Elle plongea un peu plus dans son bain. L’eau chaude lui montait jusqu’au nez, lui procurant une sensation de bien être incomparable. Elle repensa soudainement à la bataille qui s’était déroulée dans la forêt la nuit-même.

- Bon sang… Moi qui rêvais de changer de vie lorsque j’étais encore sur Terre, je suis servie à présent ! Me voilà invocatrice et guerrière à la fois. Ça semble si… Si irréel. Je me suis vraiment comportée comme une idiote en plus. Si Taku n’avait pas été là, qui sait ce que je serai à l’heure actuelle.

Elle se redressa pour éviter de glisser.

- Taku… Il n’est peut-être pas si méchant en fin de compte. Dire que c’est un homme tigre… On ne pourrait pas se douter à première vue de son apparence réelle. Il est plutôt…

Elle ne put finir sa phrase que la porte de la salle de bain s’ouvrit brutalement. Une silhouette imposante entra dans la pièce et s’arrêta net. S’en suivit un hurlement qui s’entendit à travers toute la maison, et peut-être même au-delà de la cascade.

- Sors de là ! Sors d’ici tout de suite Taku ! Hurla la jeune femme.
- Je suis désolé, je pensais que tu avais fini depuis le temps ! s’exclama le géant, tournant la tête.
- SORS DE CETTE PIÈCE !!!

Le jeune homme sortit rapidement sans demander son reste, se prenant une flopée d’insultes en tout genre par la même occasion. Tatsuki sortit de ses gonds, médusée que le Lyvenn l’ait vu presque nue.

- Dire que j’ai pensé l’espace d’un instant que tu étais quelqu’un de bien et de plutôt mignon, espèce d’imbécile ! jura-t-elle, seule dans la pièce.

Retrouvant peu à peu son calme, elle quitta son bain presque froid et se rhabilla. Elle avait prit un pantacourt en jean ainsi qu’un tee-shirt bleu ciel. Elle sortit, fit un tour par sa chambre pour déposer ses affaires et redescendit au salon d’un pas lourd, témoignant de sa colère non complètement estompée. Taku l’attendait en bas, un peu gêné.

- Allez, je t’ai dit que j’étais désolé ! Tu ne vas quand même pas bouder toute la journée, non ?
- Et pourquoi pas, hein !? Et puis, quand on est poli, on frappe avant d’entrer !
- Non mais, je te signale que je suis tout de même chez moi ! Et puis cela fait plus d’une demi-heure que tu étais dedans ; depuis le temps, tu devais être propre.
- J’ai tout de même le droit de prendre mon temps, riposta-t-elle vexée, les bras croisés.
- Quel mauvais caractère ! Ah oui, d’ailleurs… Si tu ne t’étais pas redressée par la surprise, je n’aurai rien vu, lança-t-il d’un air moqueur.
- Espèce de pervers ! Pervers, pervers, pervers !

Amusé, il continua de la taquiner ainsi un bon moment, puis l’invita à le rejoindre dehors. Elle n’avait aucune idée de ce que le jeune homme manigançait, et cela l’inquiétait quelque peu. Ils s’éloignèrent jusqu’à atteindre un grand arbre un peu plus loin. C’était un vieux pommier. Son feuillage était imposant et faisait une grande place ombrée. De petits animaux s’y reposaient. Taku s’assit et invita la jeune femme à en faire de même.

- Bon. As-tu idée de ce que je compte te faire faire aujourd’hui ?
- Une corvée pour me torturer et te moquer encore de moi ? répliqua-t-elle d’un air convaincue.
- Eh, je ne suis quand même pas sadique à ce point. J’aimerais que nous parlions de ce qu’il s’est passé cette nuit.
- Ah… Je suis désolée… Pour la blessure que je t’ai infligée…
- Quoi, ça ? demanda-t-il, montrant ledit endroit. Ce n’est rien, ça a déjà bien cicatrisé. N’oublie pas que je suis un Lyvenn, et pas un simple être humain, héhé.
- Quelle arrogance. Bon et si ce n’est pas de ça, de quoi voulais-tu qu’on parle ?
- De ton maniement de l’épée.

Il y eut un silence. La jeune femme avait baissé la tête, se remémorant les innombrables Lobos qui l’avaient piégée.

- Si tu veux vivre dans ce monde, il va falloir que tu apprennes à te battre, et ce, par n’importe quel moyen.
- Je ne sais pas si j’en serai capable…
- Tsss… Pourquoi ne suis-je pas étonnée ? lança une voix familière.

Maiko était assise sur l’une des branches de l’arbre, cachée (ou non, selon elle) et ayant entendu toute leur conversation. Elle descendit en un bond et atterrit devant Tatsuki. Elle tenait quelque chose dans les bras.

- J’aurais du me douter qu’une minable dans ton genre ne serait pas capable de suivre un petit entraînement.
- Minable ? C’est moi que tu traites de minable ?!
- Oui, toi. Tu as un fort caractère, tu t’énerves rapidement et contre tout le monde, mais en fin de compte, tu es aussi inoffensive qu’un bébé.
- Je ne te permets pas !

La jeune femme se releva, faisant face à son assaillante.

- Je ne suis pas une faible.
- Ah oui ? C’est donc pour ça que Taku est blessé.
- Maiko, ça suffit, intervint ce dernier.
- Ne te mêle pas de ça Taku, répliqua sèchement Tatsuki. Apparemment, elle a un problème avec moi et c’est à nous seules de le régler.
- Oui, j’ai un problème effectivement. Je n’aime pas les faibles.
- Je suis arrivée hier, je n’ai pas eu le temps de m’acclimater que je me retrouve embarquée de force dans vos histoires abracadabrantesques et…
- Iiouuu !
- Ohhhhh !

Elle remarqua enfin ce que Maiko tenait dans ses bras et oublia subitement sa colère.

- Le lapinou que j’ai vu dans la forêt ! s’exclama-t-elle, toute contente.
- C’est mon Pinciel alors… Bat les pattes.
- Pinciel ? Alors ces créatures si mignonnes s’appellent comme ça ? Eh mais, non, je suis sûre que c’est celui que j’ai vu dans la forêt.
- Et moi je te dis que non. Je l’ai trouvé ici, c’est le mien.
- Je l’ai vu la première !
- Sûrement pas !
- Iiou, iiou, fit l’animal, d’un air joyeux.
- Ah, les filles… ne put s’empêcher de soupirer le jeune homme.

Elles se disputèrent ainsi un certain temps jusqu’à ce que Maiko en arrive à une conclusion.

- Écoute-moi bien. J’accepte que ce Pinciel soit à toi à une condition.
- Je t’écoute.
- Tu devras me battre dans un duel à l’épée.
- Pardon ? s’étonna la jeune femme.
- Rendez-vous ici demain après midi. D’ici là, tâche de t’entraîner, tu risques d’en avoir besoin.

Maiko s’en alla, le Pinciel toujours dans ses bras. Tatsuki bouillonnait. Existait-il une personne dans ce monde possédant un caractère normal ? Taku ne put s’empêcher d’éclater de rire.

- Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle. En plus, elle ne m’a même pas laissé le temps de dire si oui ou non j’acceptais !
- Tu veux te dégonfler ? Tu sais, Maiko a un sacré caractère. Elle n’est pas méchante mais il va falloir que tu lui prouves qui tu es.
- Qui je suis… Ça fait très scénario de film dramatique, dit comme ça, soupira-t-elle. Évidemment que je vais accepter ! Je ne compte quand même pas me laisser marcher sur les pieds comme ça. Il va falloir que quelqu’un m’aide par contre.

Nouveau silence. D’un coup, son visage s’éclaira, arborant un joli sourire enjôleur. Elle fixa Taku, se rapprochant très près de lui.

- Quoi ? demanda-t-il, dubitatif.
- Diiiiiiiiiiiiis ?
- Arrête de me regarder comme ça, tu me fais peur.
- Tu ne veux pas m’expliquer comment on se bât s’il te plait ? lui demanda-t-elle, le regard larmoyant.
- Mais, c’est quoi cette technique à la noix ? Arrête de faire ces yeux là !

Le jeune homme, sous pression, fit semblant de se résigner à accepter, comme s’il n’avait pas eu le choix. Après tout, il avait pour idée de l’entraîner depuis le petit déjeuner.

- Bon, attends-moi ici, je dois aller chercher quelques bricoles. Je n’en ai pas pour longtemps.

Le géant partit aussitôt et revint quelques minutes après avec une petite caisse sous le bras. Il la déposa délicatement. Des bruits métalliques résonnèrent.

- Qu’est-ce que c’est ? demanda Tatsuki, perplexe.
- Ton matériel d’entraînement.
- En fait, tu avais tout prévu depuis le début, n’est-ce pas ?
- Et oui. Je suis au courant depuis hier soir quant aux intentions de Maiko. Après tout, comme te l’a fait comprendre Chika, tu es des nôtres désormais. Et, en tant que tel, tu te dois d’avoir un minimum de maîtrise au combat.

Il ouvrit la malle poussiéreuse et en sortit deux katanas en bois. Il en donna un à la jeune femme et garda l’autre en main.

- Qu’est-ce que tu veux que je fasse d’un jouet ?
- Un jouet ? Tu ne pensais tout de même pas t’entraîner avec une véritable épée ? Et puis, tes premiers adversaires n’auront pas besoin d’une lame aiguisée.

Remarquant l’incompréhension de Tatsuki, le jeune homme reprit son sourire narquois et donna un violent coup de poing dans le tronc de l’arbre. Sous le choc, les ramures les plus basses vibrèrent et quelques feuilles dorées s’en échappèrent, courbant sous les caresses du léger zéphyr. Taku demanda à jeune femme de le regarder car il s’agissait là de son premier exercice. Il trancha chacun des pétales végétaux un à un, sans en rater un seul.

- Comment as-tu pu faire ça ? s’étonna-t-elle. Il y en avait vraiment beaucoup !
- L’entraînement, c’est la clé. Tu vas devoir commencer par cet exercice. Rassure-toi, seules les feuilles mortes tombent de ce pommier. Et puis, il a l’habitude de servir d’objet à l’entraînement. Par contre, je te préviens, ce n’est pas aussi facile qu’il n’y parait.
- Je n’en doute pas, je ne suis pas sûre d’y arriver.
- Je suis persuadé du contraire.
- Nous verrons bien…

Le Lyvenn lui indiqua comment procéder : elle devrait porter un coup horizontal, rapide et le plus précis possible ; puis il redonna un coup sur le tronc du vieil arbre. Ayant été moins fort, seules trois feuilles en tombèrent. La jeune femme donna des coups au hasard et ne réussit pas à en toucher une seule.

- Je suis vraiment nulle…
- Eh, ne commence pas ! C’est normal de ne pas y arriver au début. Là, ton erreur a été d’agiter ton arme n’importe comment. Tu n’as pas cherché à viser une des feuilles en particulier. Tu vas recommencer, lui dit-il tout en ramassant les trois feuilles au sol.
- D’accord…

Taku les lança le plus haut possible et la jeune femme réessaya. Elle loupa les deux première mais réussit à toucher la dernière : la feuille était déchirée grossièrement en deux moitiés inégales.

- Tu vois ? C’est déjà mieux ! fit remarquer Taku, tout en l’encourageant. Bon d’accord, ce n’est pas parfait, mais c’est un début. Tu as été trop lente pour la première et trop rapide pour la seconde. Pour la dernière tu n’as tout simplement pas été assez précise.
- Réessayons, je veux y arriver, répondit-elle, concentrée
- Je préfère cette attitude !

Et elle s’exécuta. Pendant plus d’une bonne heure, elle s’acharna à trancher les écailles dorées. Elle n’avait pas un rythme régulier, mais les résultats étaient prometteurs : plus de feuilles tombaient, plus elle arrivait à en toucher. La jeune femme était assez fière d’elle lorsqu’elle réussit à en trancher une en deux parts quasiment égales.

- J’y suis arrivée Taku !
- Et bien tu vois ? Qu’est-ce que je te disais.
- Oui mais ce sont des feuilles, pas un animal ou une personne…
- Et alors ? Ce n’est que le début ! Ne crois pas que j’en ai déjà fini avec toi, mademoiselle non-pudique !
- Ne recommence pas avec ça, ça arrive à tout le monde d’oublier de fermer la porte à clé !
- Oui, oui, surtout aux ventres à pattes, héhé.
- Tu es désespérant… soupira-t-elle.
- Alors la jeunesse, ça travaille dur ? lança une voix enjouée.
- Chika !

La vieille dame les avait rejoints, la mine enjouée. La colère de Tatsuki s’était évaporée d’un coup, ne manquant pas à Taku de le lui faire remarquer (ce qui la refit sortir de ses gonds).

- Où est Maiko ? demanda le Lyvenn.
- Oh, elle doit sans doute se reposer dans sa chambre, ou alors bouder dans son coin. Dis-moi, Taku, tu ne voudrais pas aller chercher un petit quelque chose à manger ou à boire pour Tatsuki ? Elle doit être fatiguée à présent, ça lui ferait sûrement du bien.
- Chika, vous savez, ça va, je peux continuer comme ça…
- Non, elle a raison. Repose-toi un moment, tu en as besoin. La suite risque d’être plus éprouvante. Je reviens, je n’en ai pas pour très longtemps.
- Bon, d’accord…

Le jeune homme partit rapidement, tout excité. A l’intérieur de la maison, il découvrit Maiko, adossée contre un mur de la cuisine, l’air songeuse.

- Toujours en train de faire la tête, madame Loup ?
- Très drôle, le fauve. J’étais juste en train de réfléchir.
- Ah oui ? Et à quoi ?
- À ta protégée. J’ai du mal à la cerner. Elle a un caractère trop changeant… Je n’aime pas les gens comme ça.
- Tu sais Maiko, au début où tu étais ici, tu n’étais pas vraiment mieux.
- Ça va, je m’en souviens, pas la peine de me le rappeler.
- J’admets qu’elle a une personnalité vraiment forte. Elle peut dire des choses blessantes sans s’en rendre compte ; où alors elle part au quart de tour… Mais il faut la comprendre. Nous ne savons rien de sa vie dans l’autre Monde, peut-être n’était-elle pas heureuse.
- Si nous, nous ne savons rien, ça ne semble pas être le cas de Chika.
- Comment ça ? demanda Taku, ne comprenant pas cette dernière remarque.
- Simple pressentiment. Bon, viens m’aider, j’ai besoin de toi pour bouger plusieurs choses lourdes dans ma chambre.
- Ça ne peut pas attendre … ? râla-t-il.

Elle ne le laissa pas répondre et l’entraîna de force avec lui. Il soupira, se résignant à la suivre. Maiko pouvait être très persuasive alors mieux valait l’écouter. Pendant ce temps, Chika s’était assise près de la jeune femme. Elles discutaient tranquillement à l’ombre du pommier.

- Tu n’es pas trop déçue d’être ici ?
- Ça ne fait qu’un jour que je suis là, mais… Non, je ne le regrette pas… Même si les choses ont été précipitées avec la nuit passée, je l’avoue. Au moins, je suis enfin « quelqu’un »…
- Ta vie était difficile avant, non ?
- Oui, un peu. Non… Beaucoup en fait, mais… Comment pouvez-vous le savoir … ? répondit la jeune femme, sur ses gardes.

Chika ne lui répondit pas, prenant un visage triste tout en gardant un léger sourire. Sa voix devint très solennelle.

- Chika, répondez-moi s’il vous plait.
- Réponds-moi d’abord, s’il te plait. N’as-tu pas encore eu une impression de déjà vu vis-à-vis de notre monde ?

La jeune femme réfléchit un instant et repensa au dessin qu’elle avait réalisé en cours d’histoire-géographie. Ce détail l’intrigua davantage.

- À bien y réfléchir, si, en quelque sorte. Je ne sais pas comment mais… J’ai déjà rêvé de ce monde ; du moins, je crois… Je l’avais dessiné.
- Et en un sens, c’est tout à fait normal.
- Que voulez-vous dire Chika ?

L’elfe se releva et regarda la jeune femme droit dans les yeux.

- Je sais qui tu es vraiment, Tatsuki Fafner.
- Comment… Comment connaissez-vous mon véritable nom de famille ?
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Vérité


« La vie a besoin d'illusions, c'est-à-dire de non-vérités tenues pour des vérités. »
Friedrich Nietzsche


On dit que tout est toujours lié, que chaque évènement n’est pas le fruit du hasard. Jusqu’à quel point cela s’avère-t-il vrai ? En quel nom pouvons-nous mentir sur ce que nous sommes ? Tout devient discutable un jour où l’autre, et lorsque la vérité éclate au grand jour, il faut alors se justifier. Un mensonge peut-il être pardonné si son seul but était de protéger un être cher ?

Tatsuki s’était levée d’un coup, fixant la vieille femme d’un air ahuri. Comment cette dernière pouvait-elle connaître son nom de famille ? Elles ne s’étaient jamais rencontrées auparavant. Et puis, la jeune femme avait tenu cela secret depuis son placement en famille d’accueil. Elle n’avait que peu de souvenir quant à son enfance et n’avait jamais voulu partager la dernière chose la rattachant à sa mère. De ce fait, elle avait pris le nom de famille de ses parents adoptifs et était plus connue sous le nom de « Tatsuki Langlois ».

- Qu’avez-vous dit … ? questionna la jeune femme, paniquée.
- Pourquoi t’affoler subitement ?
- Comment pouvez-vous savoir mon nom ? Déjà lorsque nous nous sommes rencontrées, vous saviez comment je m’appelais et je ne vous avais pourtant rien dit.
- Je viens de te le dire, je sais qui tu es.
- Expliquez-moi, sans énigmes, s’il vous plait, répliqua-t-elle tout en tremblant.

La vieille femme soupira : la méfiance de Tatsuki refaisait surface. Elle devait pourtant lui dire certaines choses, quelle que soit la manière choisie. Le soleil tapait fort dans le ciel, ses rayons d’or frappant les majestueuses feuilles du grand arbre, lui conférant d’innombrables palettes de couleur. Une multitude d’insectes volait au travers des branches, jouant avec les caresses du vent. L’elfe inspira profondément, se rassit, et reprit la parole.

- Je ne sais pas comment t’annoncer les choses. Pour faire simple, disons que nous nous sommes déjà rencontrées.
- Je ne vous crois pas.
- Et pourtant te voilà bien dans notre monde ! Tout n’est pas à sens unique, tu sais. Il n’est pas rare de voir des gens d’Omowaku se rendre sur Terre pour étudier votre monde.
- Vous ne répondez pas à ma question ; je ne vois pas ce que cela a à voir avec moi.

La vieille femme sourit à Tatsuki. Elle semblait perdue dans ses pensées, à la recherche de quelques bribes de souvenirs. La jeune femme bouda un instant puis se ravisa, rangeant son mauvais caractère.

- S’il vous plait, Chika. Dites-moi… Je sais que j’en demande beaucoup, mais c’est vous qui avez commencé et puis… Enfin je suis sans doute trop curieuse depuis le début.
- Tu n’as pas à te reprocher des choses pour lesquelles tu n’es pas coupable, tu sais.
- Peut-être… Mais, vous savez, j’ai souvent eu tendance à compliquer les choses, à trop penser… A trop me poser de questions.

La jeune femme marqua un temps, se rasseyant aux côtés de l’elfe. Le remord semblait la ronger, son regard vide en témoignait. Ses yeux devinrent peu à peu brillants, presque humides. Et finalement, quelques mots s’extirpèrent de sa gorge.

- J’ai toujours été seule depuis cet accident. Les rares fois où j’ai cherché à aller vers les gens, je n’ai eu droit qu’à quelques moqueries, qu’à des reproches. Que les gens sont immatures parfois… Alors, au final, j’ai fini par ne plus faire attention à tout cela. J’ai accepté ma solitude, le fait que je devais être différente.

La vieille femme l’écoutait avec attention, n’oubliant cependant pas ce qu’elle avait à lui dire. Toutefois, elle avait conscience que Tatsuki avait besoin de parler, de vider tout ce qu’elle pouvait avoir sur le cœur.

- Je suis désolée, je ne sais pas pourquoi je vous dis tout ça alors que c’est à vous de répondre à mes questions.
- Ne t’inquiète pas pour ça. Je te répondrai lorsque tu auras fini. J’ai cependant l’impression que cela fait un moment que tu éprouvais le besoin de te confier.
- Plus ou moins… J’ai déjà parlé de tout ça avec une amie, sans doute la seule personne qui m’accepte comme je suis.
- Ah oui ? s’étonna Chika.
- Oui, c’est une vieille boulangère qui s’appelle Gigi. Je suis sûre que vous vous entendriez très bien, je ne sais pas pourquoi…
- Gigi, hein… pensa la vieille femme. Ce nom m’est familier. Et si… Non, je dois confondre.
- Enfin voilà, j’ai sans doute dû vous endormir à moitié avec ce récit si passionnant. Je crois que je pourrais presque réécrire « Les Malheurs de Sophie » avec tout ça…

Chika ne put s’empêcher de rire. Elle adressa un grand sourire à la jeune femme, qui lui rendit à son tour. Sa mélancolie s’estompa progressivement, laissant place à un peu de gaieté.

- Bon, à présent c’est à vous, madame l’elfe-qui-parle-par-énigmes. Vous avez l’air d’en savoir bien plus qu’il n’y paraît.
- Plus que tu ne le crois.

La femme aux cheveux d’argent marqua un temps. Prenant une profonde inspiration, elle reprit.

- Très bien, je vais te dire ce que je sais.

Elles s’étaient tues, laissant la nature s’exprimer. L’astre roi semblait au zénith dans l’immensité bleue du ciel. Il devait être près de midi. La jeune femme s’allongea dans l’herbe, attendant que son aînée prenne la parole. Cette dernière s’exécuta.

- J’ai beaucoup voyagé à une époque, que ce soit sur Omowaku, ou dans d’autres mondes, comme la Terre. Tu te doutes bien qu’avec des oreilles comme les miennes, dans des endroits où les elfes n’existent pas en tant qu’êtres vivants, je suis assez mal vue. Enfin, là, je m’éloigne un peu du sujet. Quoi qu’il en soit, un jour où je me baladais en forêt, j’ai fait la connaissance d’une jeune femme. Elle avait l’air perdu, alors je suis allée lui parler. Elle s’appelait…

Il y eut une forte bourrasque, la forçant à marquer une pause tant le bruit des branches se heurtant les unes aux autres écrasait sa voix. Tatsuki couvrit son visage d’une main par réflexe.

- … Anna.

Les pupilles de la jeune femme se rétrécirent subitement, une foule de souvenirs lui revenant d’un seul coup. Son cœur s’emballa sans qu’elle ne s’en rende compte. Boum, boum. Boum, boum. Anna…

- Je m’en souviens comme si c’était hier. Elle avait des cheveux ondulés d’un violet assez prononcé, arrivant mi-épaule. Son visage laissait dévoiler un air insouciant… Et ce qui m’avait frappé sur le coup, c’était ce petit globe sur son ventre, qu’un petit habitant lui faisait sous le nombril. Elle avait pourtant l’air très jeune.
- Chika… Cela remonte à… Presque vingt ans… N’est-ce pas …?

Les battements cardiaques ne s’estompaient pas. Chaque mot de la vieille elfe redonnait vie à un souvenir perdu, oublié par le temps, effacé progressivement. Tant d’émotions ressenties en à peine deux jours… Qu’allait-elle encore apprendre ?

- En réalité, reprit Chika, elle n’était pas perdue. Non. Elle attendait quelqu’un. Elle l’attendait, lui. Je suis restée avec elle pendant ce temps, au cas où elle aurait eu besoin de quoi que ce soit. Nous avons beaucoup parlé, d’elle, de moi, de son futur petit ange. Ou devrais-je dire, de sa future petite ange.
- C’était…
- Elle savait qu’elle donnerait naissance à une petite fille. Je lui ai alors demandé si elle avait une idée de prénom, et elle m’a répondu…
- … Tatsuki.

Un profond soupir s’échappa de la gorge presque nouée de la jeune femme. Une nouvelle rafale s’imposa, accompagnée dans son sillon de quelques pétales de fleurs. Les yeux de Tatsuki se perdirent dans l’immensité bleuâtre du ciel. Pourquoi ne lui avait-elle jamais parlé de tout ça lorsqu’elle était encore là ?

- Ta mère t’aimait déjà énormément, avant même de pouvoir te prendre dans ses bras.
- Je ne comprends pas… Pourquoi ne m’a-t-elle jamais raconté cela ? C’est comme si elle avait cherché à cacher quelque chose… Comme pour mon absence de souvenir en deçà de mes trois ans. Là non plus, elle ne m’a jamais répondu, soupira la jeune femme, perdue dans ses pensées.
- Peut être cherchait-elle à te protéger de quelque chose. Je suis désolée, je n’en sais pas bien plus.
- L’avez-vous revue après cela ? Et… Avez-vous pu voir à quoi ressemblait… Mon père ? demanda-t-elle, hésitante.
- Pour répondre à ta première question, oui. Tu étais toute petite, et je me souviens t’avoir conté plusieurs histoires par rapport à Omowaku. C’est pour cela que, en quelque sorte, tu as des impressions de déjà vu. Tu as réussi à te construire une image très proche de la réalité, grâce à mes récits.
- Et pour…
- Je ne l’ai jamais vu, je suis désolée.

Tatsuki se redressa subitement. Un tintement cristallin résonnait tout près. Elle regarda à droite, à gauche, et aperçut Taku, ce dernier tenant un plateau. Chika le vit également et adressa un visage chaleureux à la jeune femme. Alors qu’elle allait lui adresser quelques mots, cette dernière la coupa, souriant.

- Merci, Chika. Même si j’ai du mal à avaler tout ça, au fond j’ai le sentiment que vous m’avez dit la vérité.
- Je suis désolée de ne pas pouvoir t’en dire plus.
- Ça ira pour l’instant, même si je sais que vous ne m’avez pas tout dit. Au fond je n’ai pas envie de connaître le reste pour le moment… C’est… Assez troublant. Je suis bizarre, n’est-ce pas ?
- Bien sur que non, petite sotte !

Elles rirent de bon cœur et la vieille femme s’éloigna, regagnant sa maison. Taku rejoignit Tatsuki peu après, ne comprenant pas tout à ce qui s’était passé.

- Alors, de quoi avez-vous parlé ?
- De beaucoup de choses qui échapperaient à ta cervelle de chat.
- Mais c’est qu’elle est agressive, la ventre-à-patte ! Ou devrais-je dire… Madame-non-pudique.
- Ne recommence pas !

De loin, Chika les observait, un grand sourire s’affichant sur ses lèvres.

- Je te demande pardon, Tatsuki. Je ne suis pas en droit de te dire toute la vérité. Pas pour le moment, en tout cas, prononça l’elfe, disparaissant dans l’ombre des arbres.

Sous l’imposant arbre, le jeune homme s’assit, demandant à la jeune femme d’en faire autant. Il déposa le plateau qu’il avait ramené à ses pieds. Un petit napperon le recouvrait, surmonté de deux verres brillant aux reflets du soleil. Une bouteille d’eau trônait à leur côté. De l’autre côté du plateau, plusieurs sandwichs étaient disposés dans une petite assiette.

- Voilà ta récompense pour tes efforts : un petit casse-croûte avant de reprendre l’entraînement.
- Casse-croûte ? Mais, il doit être midi, je vais mourir de faim !
- Tu n’as pas de temps à perdre à t’empiffrer comme une ogresse. A moins que tu tiennes à te faire ratatiner par Maiko…
- Certainement pas ! Mais et toi, tu ne vas pas manger ?
- On ne peut pas tout faire, hein. Pour le moment, je dois t’enseigner les bases du combat en l’épée en à peine une journée. Et tant que tu ne les sauras pas, on ne bougera pas d’ici. Même si on doit y passer la nuit.
- Tu es vraiment ignoble.

Alors qu’ils discutaient tranquillement tout en mangeant les quelques sandwichs préparés par le Lyvenn, deux yeux les épiaient, sceptiques, méfiants. Maiko était accoudée à une petite table en bois, posée sur la petite terrasse à l’arrière de la maison. Le Pinciel qu’elle tenait dans ses bras un peu plus tôt se reposait sur ses genoux.

- C’est du n’importe quoi, s’agaça-t-elle. Tant d’histoires pour un simple animal, ça n’en vaut pas la peine.
- Iiiouuu ? lui répondit le lapin, redressant la tête.
- Quoi ? Tu trouves que j’ai été stupide avec ce défi ?
- Iiiiou.
- Et depuis quand un animal donne-t-il des ordres à son maître, hein ? râla-t-elle davantage. C’est elle qui l’a cherché, de toute façon.
- Iiiouu iiouuuuuu… fit l’animal, intimidé et quelque peu apeuré.
- Excuse-moi, je n’avais pas à passer mes nerfs sur toi.
- Iiou !
- Bon, continuons de les observer. J’ai envie de rire.

Leur repas (si l’on pouvait dire) terminé, Taku se releva et retourna près de la malle qu’il avait ramenée. Il y rangea les deux armes en bois et en sortit deux autres, bien différentes. Il s’agissait à présent de véritables épées. Leurs lames en acier laissaient entrevoir de nombreuses utilisations à travers le temps : elles étaient plus ou moins émoussées à quelques endroits du tranchant.

- Maintenant que tu as compris comment manier ce genre d’arme, on va passer à la vitesse supérieure, lui dit-il, lui tendant l’une des épées. Je vais t’envoyer quelques boules de feu et tu devras les parer en les coupant en deux.
- Attends, tu sais utiliser la magie toi aussi ? lança la jeune femme, intriguée.
- Eh, n’oublie pas que je ne suis pas qu’un simple être humain. Bon, pour commencer, elles seront de petites tailles. Si tu les loupes et qu’elles te touchent, tu ne ressentiras qu’un petit picotement. Mais au fur et à mesure, je les ferai de plus en plus grosses. Là par contre, si l’une t’atteint, je serais ravi de t’avoir connu.
- Ce n’est pas drôle !
- Tu es prête ? s’exclama Taku, enjoué, tout en s’éloignant d’une vingtaine de mètres. C’est parti !
- Eh, mais, attends !

Il ne lui laissa pas le temps de souffler qu’il se concentra d’un coup. Pointant ses mains vers elle, son visage laissa apparaître quelques rayures tigrées, témoignant de sa véritable apparence. Une sphère lumineuse se forma au creux de ses paumes et, donnant un petit à-coup, fila rapidement en direction de la jeune femme. Elle ne l’évita pas et la reçut en pleine joue. Pestant comme quoi elle n’était pas prête, le Lyvenn recommença aussitôt. Elle la manqua à nouveau, son coup d’épée porté dans le vide.

- Bon sang, que s’est-il passé !? s’exclama-t-elle.
- Tu es trop crispée, tout simplement ! Cette arme est différente, ce n’est pas un jouet. Laisse-toi aller, laisse ta lame glisser. Ne cherche pas à la retenir, ou tu commettras la même erreur.
- Facile à dire…
- Allez, on continue.

Et il recommença. Cette fois-ci, la jeune femme serra moins fort le manche de son arme, cherchant à comprendre ce que Taku voulait dire par « laisser glisser ». Mise à part un sous-entendu pervers, elle ne saisissait pas ce qu’il avait voulu dire. Nouvel échec de sa part, mais elle ne se découragea pas. Ils continuèrent cet exercice pendant une bonne partie de l’après midi. Au bout du dixième essai - voire plus, la jeune femme réussit enfin son geste : la boule de feu disparut sous le coup d’épée. Contente d’avoir fini par comprendre, elle demanda à Taku de continuer. Les attaques du jeune homme s’enchaînaient à une vitesse fulgurante, de plus en plus puissantes.
Le soleil avait bien poursuivi sa course dans la voûte bleutée, se dirigeant vers l’Ouest. Il était déjà tard, presque dix-sept heures. Les deux jeunes gens s’accordèrent une pause bien méritée : Tatsuki n’en pouvait plus, son estomac ne manquant pas de lui rappeler le maigre repas du midi.

- Je suis crevée… Et… Et si on s’arrêtait là… Pour aujourd’hui ? questionna-t-elle, essoufflée.
- Il te reste encore quelque chose à faire, répondit l’autre d’une voix monotone.
- Encore ? Mais tu cherches à me tuer ou quoi ? Ca fait plus de quatre heures qu’on s’entraîne ainsi, avec quelques petits répits, fort heureusement !
- Pourquoi voudrais-je tuer un si joli petit minois … De ventre à pattes ? pouffa-t-il.
- Et voilà qu’il recommence, bougonna-t-elle dans son coin.

Il lui ébouriffa soudainement les cheveux, ne manquant pas de la faire râler une nouvelle fois. Il s’arrêta finalement, ayant assez taquiné « son jouet ».

- Je suis étonné que tu ne m’aies rien demandé sur Maiko, lui lança-t-il, enfin calmé.
- A dire vrai, j’y songeais oui, mais j’ai pensé que tu n’allais pas me répondre.
- Allons, il m’arrive d’être sérieux… De temps en temps.
- De temps en temps, hein…

Soupirant et secouant la tête, elle se résigna, préférant mettre sa mauvaise humeur de côté l’espace de quelques minutes.

- Dis-moi, Taku. Maiko a toujours été aussi froide ? Je veux dire, est-ce qu’elle était comme ça aussi, avant que j’arrive ?
- Mh, difficile à dire. Disons qu’elle a un caractère assez fort. Pourtant, en temps normal, elle est très gentille. J’avoue ne pas vraiment comprendre ce qui la dérange chez toi.
- Je suis quelqu’un de faible, ne cherche pas plus loin, lâcha-t-elle, aigrie.
- Je pense au contraire que tu lui rappelles beaucoup sa sœur, qui lui manque énormément.
- Sa sœur ?
- Oui, continua Taku. Maiko s’est enfuie de chez elle, il y a environ cinq ans, pour protéger sa famille. Et de ce fait, elle fut obligée de laisser sa petite sœur, Miu, derrière elle. Elle m’a raconté que sa cadette était assez impulsive, s’énervant souvent pour un rien, mais qu’elle n’en était pas moins adorable. Tout bien réfléchi, c’est vrai que tu lui ressembles un peu.
- Chika l’a donc recueillie ensuite, n’est-ce pas ?
- C’est exact.

Tatsuki ne put s’empêcher de repenser à ses altercations avec Maiko, puis à ce que venait de dire son ami. Au fond, la jeune femme n’avait pas eu une vie facile non plus. Elle avait un foyer, une famille qui l’aimait, et elle avait dû abandonner tout cela, dans le seul but de les protéger. C’était cher payé.
L’astre d’or continuait sa course, plongeant dans le manteau de coton à l’ouest. Plusieurs lueurs irisées chatouillaient l’immensité bleue. Quelques moutons blancs se regroupaient pour la recouvrir. Près de l’arbre, quelques insectes crépusculaires s’adonnaient à danser à travers les feuilles dorées. Libellules, Nymphes de Feu et papillons de nuit jouaient communément, illuminant les ramures qui reprenaient vie.

- Je pense qu’il faudra un peu de temps à Maiko pour t’accepter en tant qu’amie, lança le Lyvenn tout en se relevant. D’ici là, tâche de lui montrer de quoi tu es capable. Allez, il est tant de rentrer.
- Hein ? Rentrer ? Tu m’avais pourtant dit que je devais faire encore quelque chose, non ?

Le géant ne répondit cependant pas et commença à regagner la maison de l’elfe. Tatsuki réitéra sa question d’un ton plus insistant. Taku s’arrêta net, lui faisant dos. Un sourire mesquin prenait forme sur son visage. La jeune femme se releva intriguée, laissant son arme à terre. Elle ne comprenait pas pourquoi il restait planté là, en plein milieu du chemin. Alors qu’une vingtaine de mètres les séparait, tout s’enchaîna très vite. L’homme se retourna brusquement, les bras tendus et une boule de feu assez grosse s’échappa de ses mains. Et si cela ne suffisait pas, sa trajectoire n’était pas rectiligne mais variée, comme s’il s’agissait d’un véritable ennemi.
La jeune femme était prise au piège : elle devait réagir et vite, sous peine d’être brûlée. De plus, son arme d’entraînement était trop loin. C’est alors…

- Âme de Glace ! Viens à moi !

Sans réfléchir, la première chose à laquelle elle pensa fut sa véritable épée. La lame se matérialisa en quelques secondes, lui laissant juste le temps de trancher, tant bien que mal, la sphère enflammée. Effrayée, elle lança un regard meurtrier à Taku qui pouffait en voyant sa réaction. L’épée disparut.

- Mais t’es malade ou quoi !? Tu aurais pu me tuer ! s’exclama-t-elle, hors d’elle.
- Et bien, tu voulais encore continuer un peu, non ? C’est chose faite à présent.
- Tu ne vas tout de même pas me dire que c’est le dernier exercice qu’il me restait à faire … ?
- Et si ! répondit-il, satisfait.
- Crétin, tu n’es qu’un crétin, je te hais !
- Toujours aussi gamine, même après un entraînement.
- Tais-toi, tais-toi, tais-toi ! s’énerva-t-elle.
- Allez, plus sérieusement. Si j’ai fait ça, c’était pour tester tes réflexes défensifs. Je vois que tu n’as pas hésité à faire appel à ton arme, c’est bien. Je ne m’y attendais pas.
- Tu m’énerves.

Ils regagnèrent la petite maison, non sans se chamailler. Le reste de la soirée se passa plus ou moins dans le calme : Chika avait préparé un copieux repas pour récompenser la terrienne de son dur labeur ; Maiko en avait profité pour lui faire une réflexion ; Taku essayait de calmer le jeu, sans grand succès. Finalement, tous allèrent se coucher aux alentours de vingt-deux heures.

La nuit avait pris place sur Omowaku, enveloppant les moindres parcelles de ciel de son lourd manteau de velours noir. La maison de Chika baignait dans l’obscurité totale. Cependant, quelques rayons lumineux s’échappaient d’une porte. Une lampe de chevet brulait encore dans la chambre de Maiko, faiblement, mais lui permettant de distinguer les moindres recoins de la pièce. Elle était adossée à la tête de son lit, ses bras serrant ses jambes repliées. Le Pinciel dormait à poings fermés au pied du matelas.

- Tsss… J’ai un mauvais pressentiment quant à demain. J’ai eu beau observer cette fille toute l’après midi, je ne comprends pas pourquoi un défi aussi ridicule la motive autant. Je n’aime pas les gens impulsifs.
- Maiko, tu n’étais pas bien différente à une époque, lâcha une voix grave et sombre.

Une imposante silhouette était couchée à côté du lit. L’éclairage ambiant ne permettait cependant pas de la distinguer clairement : seuls deux grands yeux émeraude s’imposaient.

- Taël, tu exagères, répliqua la jeune femme.
- Je ne crois pas, non. Ne te rappelles-tu pas de tout ce que tu entreprenais pour impressionner Miu ?
- Ce n’est pas comparable. J’étais jeune et naïve. C’est d’ailleurs pour ça que je me suis enfuie, souviens-toi.
- Oui, je m’en rappelle très bien… Tu as réussi à t’attirer les foudres d’un chef Fataliste en…
- Tais-toi Taël, le coupa-t-elle sèchement. C’est du passé, à présent. Et demain, je devrai infliger une correction à cette petite idiote. Peut-être qu’ainsi, elle comprendra que les faibles n’ont pas leur place ici.
- La Maiko gaie et souriante d’autrefois me manque par moment… soupira l’ombre.

La jeune femme fit mine de ne pas entendre et éteignit sa lumière. Plus un bruit. Morphée s’était emparé des lieux.

Le jour arriva très rapidement. Quelques rayons de soleil se posèrent sur la joue de Tatsuki, la tirant délicatement de son sommeil. Peu réveillée, elle réussit à s’extirper du lit, à attraper quelques vêtements au vol et à filer à la salle de bain avant même de prendre un petit déjeuner. Elle prit garde de fermer à clé cette fois-ci, histoire de ne pas provoquer un nouveau scandale.
Une fois sa toilette terminée, elle descendit et se dirigea vers le salon : il n’y avait que Chika buvant son thé. Elle la rejoignit.

- Bonjour… Les autres ne sont pas là ? questionna-t-elle, tout en bâillant.
- Ah, bonjour Tatsuki. Et non, ils se sont levés de bonne heure je crois. D’ailleurs, Taku t’attend depuis un bon moment dehors, près du pommier.
- D’accord, merci. Je vais me dépêcher et le rejoindre.

Elle aurait préféré se recoucher mais son entraînement devait continuer. Avalant mollement son verre de jus d’orange, elle se traîna péniblement jusqu’à l’extérieur, ne manquant pas de trébucher. Une fois qu’elle eût rejoint Taku, elle fut surprise de voir sa rivale assise sur l’une des plus grosses branches, flânant.

- Qu’est-ce qu’elle fait là ? lâcha Tatsuki tout en bâillant une nouvelle fois.
- Ah tiens, te voilà enfin ! se réjouit le jeune homme. Et bien, comment dire, Maiko a…
- J’ai décidé de t’affronter tout de suite, déclara l’intéressée, regagnant le sol.

Il y eut un blanc. Une légère bourrasque s’insinua au travers des feuilles luisantes.

- C’est une blague j’espère ?
- J’ai l’air de rire peut-être ? répondit la jeune femme en fronçant les sourcils, les bras croisés.
- Mais, je viens juste de me lever ! J’ai à peine eu le temps de prendre une douche et déjeuner.
- Et alors ? Ca ne change rien. Qu’aurais-tu dit s’il s’agissait d’un véritable ennemi ? Rien, alors va te mettre en place.

Râlant, Tatsuki s’exécuta. Les deux rivales étaient séparées d’une bonne trentaine de mètres. Maiko lui annonça en quoi consisterait le duel.

- Les règles seront simples. Nous nous affronterons à l’épée. La première à toucher l’autre distinctement aura gagné.

Elle ne lui laissa même pas le temps de répondre qu’elle s’empara d’une fine épée à ses pieds.

- Tu devras te servir de l’arme avec laquelle tu t’es entraînée hier. Nos armes d’invocateurs sont bien entendu interdites.
- Eh ! Une minute ! Je ne sais même pas me défendre, ce n’est pas du jeu !
- Ne t’inquiète pas, Tatsuki. Tu n’auras qu’à faire comme contre les Lobos ! s’enthousiasma Taku, tout en riant.
- Eh, gamine, lâcha Maiko d’un air mauvais. Ne crois pas que tu es la seule désavantagée. L’épée est loin d’être mon arme de prédilection, alors estime-toi heureuse de cet élan de sympathie. D’accord ?
- Grrr…

Elles se tenaient prêtes, Taku jouant le rôle de l’arbitre. Les oiseaux s’étaient tus, les insectes ne volaient plus. Seul le vent imposait sa présence.
Le jeune homme abaissa d’un coup son bras, donnant ainsi le signal de départ. Le duel commença très rapidement : Maiko chargea directement de front sur son adversaire, souhaitant régler cela au plus vite. Tatsuki, quant à elle, eu un certain temps d’adaptation, dû à son état de somnolence. Elle réagit cependant à temps pour contrer l’attaque de sa rivale, la parant du mieux qu’elle le put avec sa lame. Repoussant l’assaut, elle chercha immédiatement à riposter. Malheureusement, son coup fut porté dans le vide : Maiko avait esquivé avec une agilité surprenante, comme si elle était portée par le vent.

- Comment as-tu fait ? demanda-t-elle, perplexe.
- C’est là toute la différence de niveau entre-nous ! Mais au lieu de préoccuper de ça, inquiète-toi plutôt pour toi !

La jeune femme aux cheveux tressés fondit droit sur l’autre, en proie à une attaque directe. Tatsuki se jeta à terre pour éviter son assaillante et réussit in extremis. Elle se releva péniblement et, bien décidée à gagner, se replongea dans le duel.
Les deux ennemies s’affrontèrent ainsi pendant une bonne vingtaine de minutes : Maiko évitait chaque attaque de son opposante et Tatsuki manquait de recevoir un coup de peu à chaque fois. Cependant, la fatigue commençait à se ressentir des deux côtés. Le prochain échange allait être le dernier. Se faisant face, n’affichant aucun sourire, elles se jetèrent l’une sur l’autre au même moment. Il y eut un bruit métallique l’espace d’un instant, et le duel se termina brusquement : Maiko projeta violement l’autre jeune femme au sol d’un coup de coude en plein abdomen.

- Bon et bien… Le duel semble se terminer sur une victoire de Maiko, annonça Taku, un peu déçu.
- C’était évident de toute façon, cracha la gagnante, tout en s’approchant de Tatsuki.

Cette dernière se releva avec difficulté, la douleur la paralysant partiellement. Elle regardait le sol, n’affichant aucune expression sur son visage poussiéreux.

- C’est bien ce que je disais : tu es faible, même après un dur entraînement. Tu n’avais aucune chance de toute façon. Tu étais vouée à perdre.
- Je… Ne crois pas, non… répliqua la jeune femme, la regardant droit dans les yeux avec un grand sourire.
- Quoi ? Ah …!

Maiko flancha brusquement, une vive douleur à la jambe droite. Elle l’examina et découvrit une petite coupure au niveau du pli de la cuisse. La blessure était peu profonde mais très mal logée.

- Comment… Quand as-tu pu faire ça ? s’étonna-t-elle.
- Au moment où tu m’as repoussée, lors du dernier assaut. Je sais que dans un vrai combat je n’aurais pas pu faire ça, mais n’oublie pas que… Je ne suis pas faible.

Sa rivale s’énerva brusquement mais rangea aussitôt sa colère. Soupirant et agacée des sarcasmes de Taku, elle tendit une main à la jeune femme.

- Bon, très bien, je reconnais que tu n’es peut être pas aussi potiche que tu en as l’air. Mais ce match nul n’est pas significatif, j’espère que c’est clair dans ta tête. Ah et, ce n’est pas avec ce maigre résultat que je t’accepterai comme il se doit.
- Je m’en doutais, répondit-elle, attrapant sa main.

Maiko s’éloigna, laissant les deux jeunes gens seuls. Taku ne put s’empêcher de faire une tape amicale à son amie ; cette dernière ne manquant pas de s’étouffer tant elle avait été forte.

- Et bien tu vois ? C’est déjà bien si tu l’as touchée !
- Oui mais, j’ai quand même perdu.
- Tant pis pour le résultat, tu ne peux que t’améliorer. Et ce sera notre occupation durant toute la prochaine semaine.
- Ah bon ? Y’a-t-il une raison particulière à cela ?
- Oui. Dans sept jours, nous partons pour les chaînes montagneuses du Mont Luna. Ce sera ta première mission.
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Re: [Roman] - Destins entremêlés

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Isolement


« Qu'un individu isolé se fie à ses instincts et s'y tienne, le monde entier finira par se ranger à ses cotés. »
Ralph Waldo Emerson


- Ah, te voilà enfin. Cela faisait un moment que je t’attendais.
- Pardonnez mon retard, maître.

Deux silhouettes se tenaient à contre-jour. Malgré l’obscurité omniprésente, on pouvait distinguer de larges murs en granite taillé grossièrement. Une grande table en bois siégeait au centre de la pièce volumineuse, surmontée d’un petit napperon bordeaux. Un chandelier incandescent était posé sur ce dernier. Quelques larmes de cire roulaient sur l’unique bougie, mourant sur l’étoffe pourpre.
Les voix étaient différentes : l’une plutôt grave et sombre - un homme -, l’autre plus posée et aiguë - une femme. Cette dernière semblait soumise à l’autre. Les deux personnes se trouvaient devant une petite fenêtre, partiellement cachée de part et d’autre d’un rideau de velours carmin. La lumière, peinant à trouver un passage pour pénétrer dans la pièce, était trop faible pour éclairer les lieux avec insistance ; il devait faire presque nuit.

- Alors ? Quel est ton rapport ? lança l’homme, d’un ton mesquin.
- Nous avons pu localiser la personne que nous recherchons. D’après nos informations, le meilleur moment pour attaquer sera dans trois jours. C’est là qu’aura lieu la cérémonie de succession, répondit l’autre tout en se penchant légèrement.
- Je vois. Dans ce cas, tu sais ce que tu as à faire.
- Oui, maître.

La femme s’inclina une nouvelle fois puis commença à s’éloigner. L’homme la retint néanmoins par le bras, la serrant de ses doigts puissants. Il l’attira contre lui sans délicatesse, approcha son visage du sien et lui dit quelques mots. Sourcils froncés, un sourire d’albâtre se dessinait peu à peu sur son visage de glace, partiellement éclairé par la bougie.

- Ne me déçois pas, Ichiko. Tu sais que je dispose d’arguments plutôt... convaincants, lâcha l’homme, hautain, tout en passant son index sur la gorge de la femme.
- Ne craignez rien, maître.

Il la lâcha ; elle sortit. Un rire machiavélique résonna dans toute la pièce.


*


Une semaine s’était écoulée depuis l’affrontement entre Maiko et Tatsuki. Cette dernière avait continué son entraînement avec Taku, dimension de mieux en mieux son arme. Toutefois, sa relation avec sa « rivale » n’était pas allée en s’améliorant, bien au contraire. Une foule de prétextes divers et variés avaient servi d’excuse pour une énième dispute. La situation demeurait donc relativement tendue, malgré les multiples efforts de la jeune femme aux cheveux mauves.
La mission en elle-même n’avait pas été expliquée de façon claire à Tatsuki : Chika lui avait simplement dit qu’elle serait d’une aide précieuse aux deux autres. Toujours est-il que le Lyvenn la poussait un peu plus loin chaque jour et qu’aujourd’hui, les exercices avaient été plutôt... fatigants.

- Taku... Je n’en peux plus... lâcha la jeune femme tout en soupirant longuement.
- Ecoute, c’est toi qui t’es mise dans ce pétrin. Maintenant, il faut assumer.
- Oui, mais tu y vas trop fort, tu me fais mal !
- Qu’est-ce que tu veux que je fasse alors ? lança-t-il, moqueur.
- Va moins vite, histoire que je puisse vraiment en profiter.
- D’accord, répondit-il, tout en ralentissant la cadence. Ça te va comme ça ?
- Oh oui, c’est très.... agréable... soupira-t-elle, aux anges.

La jeune femme était couchée sur le ventre dans l’herbe verte, près du grand pommier, le géant à ses côtés. Il la massait à travers ses vêtements, ne se rendant pas compte qu’il y allait trop fort de temps à autre. Il força soudainement un peu trop.

- Aie !
- Eh ! Tu m’excuseras mais je ne suis pas vraiment habitué à faire ce genre de chose. Je suis un guerrier, pas un domestique voué à masser mademoiselle, s’exclama-t-il, mécontent.
- Allons, Taku. Tu fais pourtant cela à merveille, je t’assure. Mais essaye de contrôler ta force, répondit-elle d’un ton narquois.
- Tu m’agaces.

Il continuait ainsi à essayer de la détendre, ne manquant pas de la faire râler de temps à autre. La brise soufflait paisiblement, caressant chaque brin d’herbe sur son chemin. Le soleil n’était pas encore très haut dans le ciel : ses rayons de feu ne dépassaient guère les chaînes montagneuses à l’Est. La faune ne se manifestait guère : seuls quelques oiseaux égayaient le tableau de leur chant doux et mélodieux. Il était très tôt : à peine huit heures.
Une présence se rapprochait des deux jeunes gens, intriguée de ce qu’ils faisaient à une heure pareille. Alors que le Lyvenn avait appuyé trop fort une fois encore, poussant ainsi Tatsuki à émettre de petits gémissements, Maiko arriva devant eux, l’air blasée.

- J’ai cru entendre des bruits plutôt louches… Qu’est-ce que vous fabriquiez encore ? lança-t-elle, posant une main sur son front.
- J’essaye de la détendre mais apparemment, en plus d’être une ventre-à-pattes, c’est une chochotte.
- C’est toi qui appuie comme une brute, oui !
- Ah… soupira la jeune femme aux cheveux tressés. Vous vous êtes levés de bonne heure pour un simple massage ? Décidément, c’est pitoyable.
- Bien sûr que non ! s’exclama sa rivale. Je me suis entraînée toute seule et il est venu me rejoindre. C’est tout.

Maiko lui jeta un regard glacial, la dévisageant de bas en haut puis reprit la parole.

- Chika vous cherche.
- Ah bon ? Que veut-elle ? demanda la jeune femme.
- Il faudrait peut-être que tu saches où nous allons et pourquoi, non ? s’énerva l’autre. Décidément, tu es vraiment naïve. Tu vas être un fardeau plus qu’autre chose durant cette mission, j’en…
- Maiko ! la coupa Taku. Arrête. Ce n’est pas la peine d’en rajouter une couche, alors excuse-toi.
- Mais, je…

Elle ne finit pas sa phrase, le visage du jeune homme s’étant assombri. Tournant la tête et soupirant, elle regarda à nouveau Tatsuki. Cette dernière gardait son visage plein d’assurance, même si au fond, Maiko l’avait blessée.

- Je suis désolée.
- Ce n’est rien, c’est déjà oublié. Bon, nous devrions rentrer, non ?
- Oui, d’autant plus que nous partons cet après-midi et qu’il y a encore beaucoup de choses à faire, s’empressa d’ajouter Taku.
- Bon et bien allons-y.

Les trois jeunes gens se dirigèrent ainsi vers la maison de Chika. Tatsuki traînait un peu des pieds, repensant aux dires de l’autre jeune femme. Quelques souvenirs peu agréables du lycée refaisaient surface, lui rappelant par la même occasion sa « famille ».

- Ils ne doivent pas être inquiets de ma disparition, se dit-elle. Je n’ai été rien d’autre qu’un poids pour eux. Ils doivent se sentir libérés à présent. D’autant plus que j’étais au lycée lorsque c’est arrivé ; ils ne peuvent donc pas être accusés de quoi que ce soit.

Elle sortit brusquement de ses pensées en trébuchant sur une petite pierre. Tombant lourdement au sol, le géant ne put s’empêcher de rire en voyant sa tête dépitée. Maiko secoua la tête en soupirant.

- Arrête de te moquer de moi, ce n’est pas drôle ! s’exclama Tatsuki, vexée.
- Si tu avais… vu ta tête ! pouffa le jeune homme. Je me demande à quoi tu pouvais bien penser pour ne même pas regarder où tu marches !
- À rien du tout.

Elle s’attarda sur la cause de sa chute : la pierre était d’un blanc laiteux, très lisse bien qu’un peu effritée. Une lueur bleutée s’en dégageait. En la regardant d’un peu plus près, elle ressemblait trait pour trait à une tête d’os.

- Qu’est-ce que c’est ? s’étonna la jeune femme aux cheveux mauves.
- Un os de Dryolf, répondit Maiko. Ce n’est pas étonnant de retrouver de leurs ossements ici. Ces créatures sont très répandues dans la région.
- Et c’est quoi, un Dryolf ?
- Tu le sauras bien assez tôt, répondit Taku.
- C’est aussi grand qu’un cheval, ajouta Maiko d’un air sournois. Allez, on rentre.

La jeune femme s’était tétanisée en imaginant un monstre énorme, prêt à la dévorer (bien qu’elle ignorait complètement à quoi il pouvait ressembler). Secouant la tête pour sortir de ses pensées un peu trop funestes, elle se mit à courir pour rattraper les deux autres qui ne l’avaient pas attendue.
Une fois à l’intérieur, ils s’attablèrent au salon. Chika les attendait depuis un petit moment. Un silence quelque peu embarrassant régnait. L’elfe le rompit.

- Bien. Etant donné que vous partez cette après-midi, je me dois de faire un petit topo pour Tatsuki. Maiko, puisque tu es déjà au courant, j’aimerais que tu me rendes un petit service. Pourrais-tu partir chercher vos montures ? Je crois que tu es…
- La meilleure pour ce genre de chose, en effet ! s’empressa de finir l’intéressée. J’y vais de ce pas.

La jeune femme quitta rapidement la pièce, enjouée. Tatsuki ne comprenait pas pourquoi.

- Ce n’est pas pour rien que je la surnomme la femme-louve ! plaisanta Taku. J’espère qu’elle ne martyrisera pas ces pauvres bêtes.
- Euh… Tu peux m’expliquer ? J’avoue avoir du mal à comprendre là…
- Ce n’est pas l’important pour le moment, reprit Chika. Tatsuki, écoute-moi attentivement s’il te plait. Comme tu es nouvelle dans ce monde, ce que je m’apprête à te dire est pour ta sécurité.
- D’accord, et si vous en veniez au fait à présent ?
- Oui, oui. Bon, avant que tu n’arrives dans notre monde, Maiko était partie en mission, de son côté, pour voir ce qui se tramait dans le camp ennemi.
- Avec les fatalistes ?
- En effet. Elle a découvert qu’une guerre pouvait éclater à tout moment entre notre continent et l’île voisine : Tyberia.
- Une guerre ? À ce point ? N’est-ce pas exagéré ?
- Certainement pas, s’empressa d’ajouter le jeune homme. Nous savons de source sûre que trois invocateurs se trouvent dans leur camp. L’attaque des Lobos a été orchestrée par l’un d’eux, sans doute le plus puissant. Ils n’auront de cesse qu’une fois les huit Chimères réunies.

Le visage de la jeune femme devint subitement blême. Une foule de questions se présentaient à son esprit mais une seule réussit à s’extirper de sa gorge.

- Dans… Dans quel but ?
- S’emparer du monde, répondit l’Elfe. Notre but à nous, Rebelles, est d’empêcher cette réunion des Pierres Chimériques. Certains écrits de la première guerre relatent une catastrophe sans nulle pareille si leurs pouvoirs venaient à tomber entre de mauvaises mains.
- Tu imagines ? poursuivit Taku. Un monde empli de ténèbres, où la vie ne serait que calvaires. Nous autres ne pouvons accepter cela.
- Tous les destins de ce monde sont liés, entremêlés, dépendants de l’issue de ce conflit ancestral.
- Je vois… Je dois reconnaître que c’est assez impressionnant, répliqua la jeune femme.

Chika se leva subitement et se dirigea vers un petit meuble. Elle en ouvrit le tiroir et sortit d’une main victorieuse une sorte de parchemin enroulé. Elle se rassit et le déplia.


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- Voici une carte d’Omowaku. Nous sommes ici, dans la partie Sud de la Forêt de Tolka, déclara-t-elle tout en pointant le lieu du doigt. Votre mission consistera à vous rendre dans la Forêt Sacrée du Mont Luna. Vous devrez y retrouver l’un des Gardiens Invocateurs : celui du bois. J’ignore toutefois son identité donc soyez prudents.
- Il est fort probable que l’ennemi cherche à s’en emparer, renchérit Taku. De plus, ces montagnes sont réputées pour être dangereuses. De nombreuses créatures assoiffées de sang y ont élu domicile.

La jeune femme déglutit.

- En partant cette après-midi et s’il n’y a aucun problème, reprit la vieille femme, vous devriez arriver demain soir. Tout est clair ?
- Oui.
- Dans ce cas, commencez à préparer vos affaires.

Les deux jeunes gens se levèrent et se dirigèrent vers leur chambre respective.

Pendant ce temps, Maiko se trouvait dans la partie Sud-est de la forêt. La végétation était particulièrement dense et l’atmosphère plutôt humide. L’épais manteau des arbres empêchait une grande partie des rayons d’or d’atteindre le sol. La faune ne se manifestait guère. La jeune femme semblait, cependant, toujours surexcitée.

- J’espère que nous allons bientôt les trouver !
- Du calme, Maiko, répondit une voix sombre.

Deux grands yeux émeraude l’accompagnaient. Il s’agissait très certainement du dénommé « Taël ». Il était difficile de le distinguer tant la lumière était peu présente.

- Allons, détends-toi. Tout s’est bien passé la dernière fois, il n’y a pas de raison pour…
- À ceci près que tu as failli avoir une main en moins.
- Taël ! Doutes-tu de mes capacités ?
- Non, non, bien sûr que non. J’ai plutôt peur que tu perdes ton sang-froid, pensa-t-il tout en soupirant.
- Alors détends-toi. Ce n’est pas comme si…

Elle se tut brusquement. Il n’y avait plus un bruit, mis à part le souffle léger du vent. Un mystérieux brouillard s’emparait des lieux, donnant un aspect mystique à la forêt. Les arbres ne semblaient plus les mêmes, comme effrayés de ce qui approchait…
Bruits de pas s’écrasant au sol.

- Ils sont là.

Plusieurs lueurs bleutées apparaissaient çà et là, suivies de quelques grondements lourds. De petits yeux jaunes s’insinuaient au travers de la brume énigmatique. Les silhouettes slalomaient entre les troncs pétrifiés, encerclant la jeune femme et l’ombre l’accompagnant. Puis l’un d’eux s’avança, fier et puissant.
Une imposante carrure recouverte d’un pelage bleu de minuit se dressait devant eux. Une crinière et quelques touffes de poils ardoise au niveau des pattes avant tranchaient avec le reste du corps. Quelques zébrures turquoise arboraient le haut de son dos, remontant jusqu’au bout de la queue. Cette dernière se terminait en forme de pique de même couleur, d’où s’échappaient deux petites pointes bleu marine. La tête de l’impressionnante créature ressemblait à celle d’un loup. La fourrure du museau était d’un bleu gris plus clair, enveloppant deux petits globes jaunes où demeuraient de fines pupilles noir ébène. À la base des oreilles figuraient deux sortes de cornes flexibles d’un cyan lumineux. L’étrange lueur bleue du brouillard en provenait.
L’animal grogna, plongea son regard dans celui de Maiko, puis donna un fort coup de patte au sol, lui indiquant ainsi qu’elle se trouvait sur son territoire. La peau de son museau se plissa et d’impressionnants crocs laiteux se dessinèrent sur sa gueule. Plusieurs de ses semblables, plus petits, se tenaient en retrait derrière lui. La jeune femme esquissa un sourire alors qu’un filet de bave dégoulina au sol.

Il devait être presque midi. Chika avait fini de préparer le dîner ; Taku et Tatsuki attendaient patiemment le retour de leur amie pour passer à table. La nourriture dégageait un fumet très agréable, ne manquant pas d’éveiller leurs estomacs.

- Qu’est-ce qu’elle fabrique… soupira Tatsuki, à moitié couchée sur la table. J’ai faim.
- C’est vrai qu’elle met du temps, répondit Taku. J’espère qu’elle n’aura pas osé…
- Je suis là !
- Eh bien, quand on parle du loup, plaisanta Chika.

L’intéressée venait d’arriver. Tout sourire, elle s’empressa de rejoindre les deux autres. La jeune femme aux cheveux mauves et le Lyvenn étaient plutôt perplexes d’un tel comportement. La vieille elfe, quand à elle, se contenta d’amener le plat sur la table : c’était un gratin de pommes de terre. Curieuse, Tatsuki s’adressa à sa rivale, essayant de comprendre pourquoi tant de bonne humeur.

- Qu’est-ce que tu es allée faire pour être aussi gaie soudainement ? En dix jours, c’est la première fois que je te vois comme ça.
- Quelque chose que tu ne pourras jamais faire, rétorqua-t-elle, hautaine.
- Maiko, ne me dis pas que tu as défié leur chef ? coupa Taku, d’un air dubitatif.

Elle ne répondit pas et montra une petite griffure sur sa joue en guise d’explication. Chika et le jeune homme soupirèrent ensembles.

- Je voulais m’amuser un peu, poursuivit la jeune femme. Et puis, vous savez très bien que j’adore ces créatures.
- Il n’empêche que tu aurais pu être en danger, s’indigna l’elfe.
- Je suis désolée.

La discussion ne continua pas. Tous se dépêchèrent de manger pour partir au plus vite. Tatsuki tâcha de ne pas montrer son agacement quant au comportement de Maiko : une vraie girouette ! Un coup elle était tout sourire, un autre c’était une vraie peste. Elle espérait qu’avec le temps la situation s’arrangerait.
Une fois le repas terminé, ils se dépêchèrent de débarrasser. Chika leur expliqua une dernière fois les points importants de la mission et remit une carte au géant. Ils allèrent chercher leurs affaires, prirent quelques provisions et sortirent de la petite maison. La situation prit un nouveau tournant : trois immenses animaux attendaient couchés devant le pallier. Tatsuki devint subitement pâle. L’une des créatures la fixa.

- Qu’est-ce que c’est que ça !? s’écria-t-elle, apeurée.
- Nos « montures », quelle question ! répondit Maiko, agacée. Tu ne croyais tout de même pas que nous irions à pieds ?
- Bien sûr que non ! Tu me prends pour qui ? Mais… Je m’attendais plus à des chevaux, ou je ne sais quoi d’autre ! Et… C’est quoi ces « bestioles », dis-moi … ?
- Des Dryolf.

La jeune femme déglutit bruyamment, tout en se remémorant la monstrueuse bête qu’elle avait imaginée la dévorant. Elle était paniquée à l’idée de devoir chevaucher ces créatures. Le remarquant, Taku lui donna une tape amicale dans le dos.

- Ne t’inquiète pas. Les Dryolf sont peut être impressionnants mais ils ne sont pas dangereux.
- Dans ce cas, pourquoi Chika s’est-elle inquiétée tout à l’heure ? répliqua-t-elle, tremblante.
- Parce que défier le chef d’une meute de Dryolf revient à mettre sa tête en jeu, rétorqua Maiko. J’ai gagné grâce à mon talent, voilà tout. De ce fait, j’ai pu choisir trois membres de la meute pour nous accompagner. Ce n’est pourtant pas bien dur à comprendre !
- Excuse-moi…
- Ne t’en fais pas. Maiko n’a jamais réussi à donner une explication sans perdre son sang-froid. Je vais t’expliquer comment faire pour monter et diriger l’un de ces animaux.
- D’accord. Merci, Taku…

Le jeune homme s’avança vers le Dryolf qui fixait toujours la jeune femme. Il lui demanda de le rejoindre ; chose qu’elle fit non sans trembler.

- Tu es déjà montée à cheval ? demanda-t-il.
- Jamais, mais j’ai déjà vu faire.
- D’accord. Et bien le principe est le même. Les rênes de ton cheval seront les deux cornes bleues que tu vois. Ne t’inquiète pas, ça ne leur fait pas mal quand on tire dessus. Si tu as compris ça, essaye de le monter. Ah oui, si tu as peur, il le ressentira et pourra te rejeter. Caresse-lui la tête pour qu’il comprenne que tu ne lui veux aucun mal.

Tatsuki mit son sac à dos en plus puis s’agenouilla à auteur de l’immense loup noir. La main tremblante, elle se résigna à la poser sur la tête de l’animal. Il la regarda, plus insistant, puis baissa la tête.

- Tu peux y aller !

La jeune femme chevaucha le Dryolf, qui se releva par la suite. Il ne bougeait pas. Attrapant ses cornes et lui demandant d’avancer, elle essaya de le diriger : ce fut un succès. Elle était contente.

- Bon et bien si miss catastrophe a réussi, on peut y aller, non ? râla Maiko.
- Oui, allons-y.
- Soyez prudents surtout, termina Chika.

Les deux autres allèrent sur leurs montures respectives puis partirent. Taku ouvrait la marche, suivi des deux jeunes femmes. La tension entre elles était presque palpable. Le trajet se déroula toutefois sans embûche. Ils traversèrent la forêt de Tolka assez rapidement. Le paysage changea, quant à lui, rapidement. Les immenses arbres verdoyants, donnant toute sa majesté au lieu ne furent bientôt plus qu’arbustes et autre végétation montagnarde. Le sol se faisait plus rude et les Dryolf ralentirent. Les parfums changeaient eux aussi : les senteurs boisées de Tolka laissaient place à une odeur d’humus, d’iode… L’odeur du large. Ils franchirent une dernière colline et purent enfin admirer le spectacle : une immensité bleue cristalline s’étendait à leurs pieds. Les rayons du soleil déclinant s’y reflétaient, lui donnant un air magique. Quelques embruns s’échappaient au gré du vent, venant mourir sur leur peau. Au Nord, quelques montagnes s’élevaient fièrement. L’un des sommets s’élançait vers le ciel.

- Voici la Mer du Léviathan, déclara Taku. Beaucoup d’histoires lui sont rattachées. Et puis, là-bas, c’est le Mont Luna. C’est là que nous allons.
- C’est loin, soupira la terrienne.
- Arrête un peu de te plaindre ! s’exclama Maiko. Ce n’est pas si loin, surtout qu’on ne marche pas.
- Allez, on repart, termina Taku.

Ils repartirent donc, ne s’attardant pas trop dans le coin. Ils ne devaient pas perdre de temps et trouver un abri sûr pour la nuit : les montagnes du Mont Luna étaient réputées pour être particulièrement dangereuses.
Après deux heures de course effrénée, ils avaient plutôt bien progressé. La mer et ses senteurs avait disparu et il n’y avait plus qu’un sol rocailleux à perte de vue. Le temps s’était rapidement couvert, chargé de nuages noirs. L’atmosphère devenait lourde et pesante. Taku s’arrêta brusquement, à l’affût. Il tournait la tête à droite, à gauche, la mine tendue. Qu’avait-il bien pu entendre ?

- Nous ne sommes pas seuls, lâcha-t-il d’un ton méfiant. Je pense que nous devrions continuer à pieds.
- À pieds ? Tu es devenu fou ou quoi ? s’emporta Maiko. Ces montagnes sont…
- Justement ! Les Dryolfs ne sont pas de taille contre ça. Aussi puissants peuvent-ils paraître, un groupe de Gardars en viendrait à bout facilement. N’oublie pas non plus que ce sont des animaux pacifiques à la base ! À pieds, nous avons l’avantage du combat.
- Tu n’es pas logique Taku. Mais soit, on fera comme tu voudras.
- Un… Gardar ? demanda Tatsuki. Qu’est-ce que c’est ?
- Un genre de lion des montagnes, et j’espère que nous n’en croiserons pas, répondit le jeune homme. Laissons partir les Dryolfs et avançons le plus vite possible. Je sens leur odeur et ils ne sont pas loin.

Même si cela ne plu guère à Maiko, tous se résignèrent à abandonner leurs montures. Taku sortit la carte de son sac et leur montra le chemin à suivre. Ils avancèrent d’un pas rapide, bien que la marche ne fût pas facile tant le terrain était accidenté. Ils longeaient une falaise. Les nuages noirs continuaient de s’amonceler jusqu’à n’être plus qu’une masse sombre et opaque. L’un d’eux se mit à pleurer, versant quelques larmes qui s’écrasèrent lourdement au sol ; puis les autres le rejoignirent. La pluie soulevait la poussière des roches dans sa chute, rendant l’endroit assez inquiétant. La chaleur et l’atmosphère lourde s’assemblèrent et firent naître un orage.

- Taku, nous devrions trouver un endroit où nous abriter au plus vite ! lança Tatsuki, peu rassurée.

Le jeune homme ne répondit pas. Tous ces sens étaient en alerte : quelque chose n’allait pas. Il huma l’air et ses muscles se contractèrent subitement. Ses pupilles se rétractèrent et il n’eut que le temps de se retourner vers les deux jeunes femmes.

- Courrez !

Au même moment, un groupe de créatures à la toison rousse bondit d’un buisson et se lancèrent à la poursuite des jeunes gens. La pluie se renforçait et l’orage ne cessait de gronder. Leurs pas meurtrissaient le sol tant leur course était rapide. On aurait dit que la terre tremblait.

- Qu’est-ce que c’est !? cria la jeune femme aux cheveux mauves, se retournant un bref instant.
- Ce dont nous parlions tout à l’heure ! Des Gardars ! Nous devons trouver un abri, nous ne pouvons pas nous battre sous un orage en pleine montagne, c’est trop dangereux ! répondit le Lyvenn.
- Taisez-vous et avancez !

Les Gardars ressemblaient effectivement à des lions des montagnes, et même à de grosses panthères. Ils possédaient une impressionnante musculature, visible à travers leur pelage d’un roux incandescent, parsemé de petites taches noires. Leurs puissantes pattes se terminaient par d’impressionnantes griffes d’un blanc éclatant, au même titre que leurs crocs tranchants. Leur museau était plus clair que le reste du corps, dans les tons beiges, couronné d’une truffe rose. Deux grands yeux jaunes, ornés d’un iris rouge sang étaient logés dans les orbites. Ces derniers étaient encerclés de poils rouges bordeaux, descendant jusqu’au bas de la gueule. Près des oreilles trônaient deux cornes luisantes et tigrées, pointues et peu rassurantes. Ces animaux étaient vraiment effrayants.
La pluie ruisselante se mêlait à la poussière du sol, formant une sorte de boue. La peur d’être rattrapée, la foudre s’abattant tout près, la pluie… Tous ces facteurs jouèrent contre Maiko qui glissa et s’écrasa lourdement au sol. Tatsuki, à ses talons, s’en rendit compte immédiatement et lui tendit une main pour l’aider à se relever. Les Gardars se rapprochaient dangereusement. Plus que quelques mètres les séparaient. Taku se retourna quelques instants après, reprenant son apparence mi-homme mi-animal, et se jeta à corps perdu dans la meute de panthère.
Nouvelle détonation. Bruits de poing s’enfonçant dans les chairs. Grognements et feulements. Nouveau coup de tonnerre. Et puis… Un bruit tout autre…

- Qu’est-ce que… commença Tatsuki.

L’un des Gardars s’extirpa de la bataille et se rua sur les deux jeunes femmes à terre. Elles l’évitèrent tant bien que mal, mais… Sous la puissance de l’impact, le sol détrempé se fendit, craqua, gronda puis se détacha du reste, tombant dans le vide et entraînant dans sa chute les deux femmes et le Gardar. Taku ne put intervenir à temps, ruant de coups les créatures et hurlant les noms de ses amies. Il n’obtint qu’un écho se mêlant à la colère de la tempête.







BONUS : Quelques dessins..

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